Costa-Gavras expose ses photos à Lille, le parcours d’une vie (INTERVIEW)
On connaît Costa-Gavras pour ses films. À Lille il tourna, en 1969, « L’Aveu », l’une de ses œuvres les plus emblématiques avec « Z ». Il y expose aujourd’hui, à la Maison de la photographie, soixante-dix de ses clichés, après Paris en 2012. Le regard sur un demi-siècle d’un homme sensible, curieux, engagé. Rencontre.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez vu l’exposition à Paris ?
« Une grande émotion. J’ai découvert des gens, des amis. Montand et Toscan du Plantier, par exemple, je l’avais agrandie un peu pour la donner à Montand, mais en grand ça raconte autre chose. J’étais tout surpris. »
Toutes ces photos correspondent à des moment que vous avez vécus…
« Oui, c’est un parcours de vie. Elles n’ont pas été faites gratuitement, chacune a son histoire. J’ai vécu avec la personne, ou on a été amis, ou on a vécu des situations particulières ensemble. »
Quel photographe êtes-vous ?
« J’aime les photos proches, ce qu’on appelle les cadres, les gros plans. Je crois que les vrais paysages sont là. Il n’y a rien de plus émouvant, de plus fort, de plus changeant aussi, que le visage des gens. J’ai fait d’autres choses. Il y a une photo que j’aime bien, prise au Japon, avec deux arbres et une silhouette au fond… »
C’est Jack Lang !
« Rires. Oui, c’était pendant un voyage officiel. Je ne l’ai pas faite parce que c’était Jack Lang mais parce que c’était graphique. Il y a quelques photos de ce genre, qui sont presque des choix de réalisateur. Ça fait un très beau cadre pour une scène. »
Photographe et metteur en scène, est-ce différent ?
« C’est une autre démarche. Dans les photos, il n’y a aucune continuité. Certaines ont été faites en 1967, d’autres en 1995. C’est le hasard, aussi, le moment. Tandis que derrière la caméra, tout est prévu, tout doit être organisé pour raconter l’histoire. »
Vous n’aviez pas prévu d’exposer ces photos. Comment ça s’est fait ?
« Serge Toubiana, le directeur de la Cinémathèque, qui est un ami, a dit à Jean-Luc Monterosso, le directeur de la Maison européenne de la photographie à Paris : « Costa fait des photos. » Monterosso a beaucoup insisté pour les voir, et moi j’espérais qu’au bout d’un moment il allait oublier. Ça a duré presque deux ans, cette histoire. Et puis un jour j’ai dit « venez les voir, ou envoyez quelqu’un ». Et ils sont venus, ils ont vu. Il y a même une personne qui a passé une semaine à tout regarder, parce qu’il y en avait beaucoup. »
C’étaient des tirages, des négatifs ?
« Des tirages, parfois des planches. Ils ont fait un premier tri de 300 photos, il y en a quelques-unes que j’ai enlevées, les autres ils les ont choisies eux-mêmes. »
Continuez-vous aujourd’hui à prendre des photos ?
« Oui. C’est très simple, j’ai un appareil, là (il entrouvre sa veste), avec un objectif 35 mm. La difficulté, c’est qu’aujourd’hui à Paris, pour trouver des pellicules, il faut aller dans des endroits spéciaux et pour les développer aussi. Les laboratoires ont disparu. »
Vous ne faites que de l’argentique ?
« Je fais du numérique aussi, mais ça m’amuse moins. Parce qu’il y a du mystère dans le noir et blanc, une sorte de poésie. La couleur vous raconte ce qui est. »
Qu’est-ce qui vous avait conduit ici pour le tournage de « L’Aveu » ?
« On devait aller à Prague. Et puis le vice-ministre de la Culture m’a appelé : « On ne peut pas le faire ici, mais il faut le tourner, ce film. » On a donc cherché une ville avec une architecture semblable, de la brique de la même couleur. On a trouvé ce qu’il nous fallait entre Lille et Tourcoing. L’autre chose formidable, c’était le grand hospice, on a pu l’utiliser pour faire les prisons, les couloirs, des bureaux, c’était un vrai studio. »
Catherine Painset