Pendant un demi-siècle, Costa Gavras s’est servi de son appareil photo comme d’un bloc-notes. Le cinéaste a saisi sur le vif ses proches, ses amis artistes, ses camarades d’engagement, des images insolites ou poétiques… Dans ce parcours, 70 tirages ont été exposés l’an passé à Paris. Elles sont à Lille jusqu’au 3 avril.
De petits formats en noir et blanc dans de vastes espaces. Belles, touchantes, surprenantes. Prises sur le vif. « C’est un peu le même esprit que Cartier-Bresson, indique notre guide. Ce ne sont jamais des images prévues, posées. Costa Gavras sort son «carnet» et saisit l’instant. Étant cinéaste, il est fasciné par le fait qu’une seule image puisse raconter une histoire. »
Engagement Quand il repère cette histoire, Costa déclenche. Au milieu d’une manif’, il fixe une pancarte à l’orthographe fragile tenue par une fillette rieuse : « Le Pen, tu nous fait beaucoup de peine, donc si tu me vois, sache cela. Je te déteste. PS : j’ai honte d’être francese ». Un défilé contre le sida ressemble à un cercueil humain blotti sous parapluies, que surplombe une volée d’oriflammes. Une forêt de mains « Touche pas à mon pote » pointe sous une frondaison de slogans.
Dans ces engagements collectifs, Costa Gavras se trouve au plus près des corps, dont il livre l’énergie. Il se poste à fleur de Mur, à Berlin, quand une femme traverse la muraille vaincue. Il capte Salvador Allende à travers un judas de chairs. Il s’approche en douce de Semprun ou de Danielle Mitterrand, dans un avion…
Mythe Ces récits touchent parfois au mythe. La faucille et le marteau se muent en aigle au-dessus des poings de la Ligue communiste révolutionnaire. Une procession intemporelle gravit le pierreux Ventoux, au cours du Tour de France. Perché au sommet de l’Olympe, Jack Lang surplombe la foule de Charléty…
Surréalisme Pourtant tirées de la réalité, des images composent des tableaux surréalistes. Ici, on songe à Magritte : un homme porte un vase sur l’épaule, dans une pièce étroite, au fond de laquelle une femme observe dans l’encadrement d’une porte. Sur trois chaises, entre un empilement précaire de sièges et une malle, Alain Sarde dort… Tout est dans le regard, aigu et drôle, et le cadrage, qui joue souvent sur les déséquilibres. Devant l’Acropole, Montand et Semprun cristallisent la vie et l’histoire ; tout le pan droit de la photo n’est qu’horizon, immensité du temps.
Confidence Dans ses portraits de proches, famille ou amis artistes, Costa capte des expressions superbes, naturelles. Il nous met dans la confidence du quotidien. De temps en temps, en revanche, la banalité perce dans des scènes de rue. Faiblesses passagères. Il aurait été bien regrettable que toutes ces photos, négatifs rangés au jour le jour, qui n‘étaient a priori pas destinées à être exposées, échappent au regard.
Hommage à Marker Cerise sur le gâteau, des photos de Chris Marker, choisies par Costa Gavras, plongent sur le tournage de L’Aveu. Noirs intenses, profils cinglants, souffrance palpable de Montand, au cœur de la scène.