Quand Lucien Clergue apprivoisait Cocteau et ses créatures dans le temple des Baux
C’était, hier, jour de vernissages aux Transphotographiques. Du voyage d’Ulysse nourri des mots inspirés d’Agnès Varda à la plongée flamboyante de Lucien Clergue dans l’univers de Cocteau.
Dans les carrières des Baux, temples aux ombres qui cascadent, la créature aux multiples visages se dresse, suspendue. Des lignes lumineuses, ailes très fines, l’inscrivent en plein mystère. Mythologie en train de se construire, captée par l’oeil du photographe, le jeune Lucien Clergue, sur le tournage du Testament d’Orphée par Cocteau, en 1959. « Je suis un Méditerranéen, je suis très à l’aise dans la mythologie, confie-t-il. On mangeait ici avec Minerve ; j’avais croisé Œdipe à Arles, c’était un harki aveugle avec sa fille ; je photographiais des charognes au bord du Rhône en pensant à Antigone… » Chargé des repérages et « des affaires gitanes », L. Clergue a fixé, dans ces carrières que le cinéaste comparait au tombeau d’Agamemnon, l’oeil du sphinx Cocteau, visage de silex sous le souffle d’une aile, ou un centaure de carnaval sous la plaie d’une fenêtre… Il a saisi Cocteau dansant dans son univers, en apesanteur grave, en in-quiétude un rien poseuse, parti dans un ailleurs que la photographie désigne sans l’élucider. Avec l’éblouissement du hasard (« Pour la scène où Cocteau est tué par Minerve, il avait écrit « bruit d’avion », et un avion est passé au moment où la scène a été tournée »). Avec la malice qui fixe l’envers du décor, les cocasseries du mythe et qui n’hésite pas à placer le maître devant un ventilateur dont les pales sont autant de rayons ou de cheveux défaits. Cette superbe série le montre, Lucien Clergue agit, lui aussi, en poète.
Christian Furling
Voix du Nord du 11 mai 2007
► Jusqu’au 17 juin, palais Rihour, place Rihour à Lille. Du lundi à samedi, de 9 h 30 à 18 h 30; dimanche, de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h.