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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

Les Échos : Cinéma et papier glacé

Cinéma et papier glacé

Ce sont des témoignages de l’âge d’or. Celui du cinéma, où, en dehors de la mise en scène, apparaissait un bout de la vérité des stars. Des moments fugaces, figés à jamais par de grands photographes exposés dans la région lilloise et à Paris.

La voiture de Pierlugi filait dans une Rome endormie. A ses côtés Anita Ekberg profitait des derniers souffles du vent de la nuit. Soudain, elle lui demanda de s’arrêter. Il accepta… en échange d’une photo. Alors la starlette suédoise lui offrit une image inoubliable : dans les rayons de l’aurore, elle se laissa glisser dans la fontaine de Trevi. En 1960, le photographe raconta cette anecdote à Fellini, qui en fit une scène mythique. La vie était douce : photo et cinéma formaient un couple avec ses hauts, ses bas, ses disputes et ses coups de coeur. A quelques jours du Festival de Cannes, les tentaculaires Transphotographiques (dans le nord de la France et en Belgique) célèbrent cette relation. Jusqu’au début des années 1970, photographes et vedettes ont travaillé en toute complicité. Il suffit de regarder Robert Mitchum trimballer sa classe désinvolte et son costume gris sur une plage de Cannes. Une vague vient chatouiller ses mocassins, il l’esquive d’un pas de danseur de claquettes. L’oeil de Léo Mirkine ne manque rien. Quarante ans plus tard, la beauté ne s’inscrit plus dans la lumière naturelle d’une plage abandonnée ou dans l’eau d’une fontaine au hasard d’un petit matin romain. On la célèbre sur rendez-vous, dans l’enceinte rassurante d’un studio ou d’une chambre d’hôtel.

Raggazza

Comme on envie Federico Patellani, qui évoluait librement dans les coulisses des concours de Miss Italie à la fin des années 1940 ! Parmi les jeunes aspirantes, on retrouve Gina Lollobrigida ou Sofia Loren entre des centaines de vraies raggazze élevées au risotto. Au temps du bistouri, des régimes et du fitness, ces corps joyeux et décomplexés, ces aisselles pas toujours épilées, ces ventres moelleux manquent cruellement. Paparazzi heureux, Patellani fut aussi le photographe de plateau du grand cinéma italien. Il capta le bonheur d’Ingrid Bergman loin d’Hollywood, cheveux au vent à Stromboli, la fraîcheur de Marina Vlady retouchant son rimmel dans une carrosserie rutilante, la solitude de Silvana Mangano, perdue dans les « brumes » du miroir de sa loge… Tout comme les photos de Lucien Clergue, qui suivit en 1959 le tournage du « Testament d’Orphée », ces documents montrent le cinéma en train de se faire, des prises de vues aux pauses cigarette. Depuis, on a sans doute inventé le « making of » mais on n’a jamais aussi peu donné à voir le cinéma au travail.
Si la photo a sculpté le mythe des stars sur papier glacé, le cinéma a-t-il en retour servi la photographie ? La Cinémathèque française interroge une dizaine de photographes. « L’Image d’après » entend montrer com-ment leur œil est irradié de cinéma, comment dans chaque photo traîne le souvenir d’un film, d’une lumière ou d’un plan. Patrick Zachmann retrouve dans ses clichés chinois l’univers des studios de Shanghai des années 1930, Bruce Gilden sent palpiter dans ses images new-yorkaises l’ombre du cinéma noir américain… La démonstration relève d’un montage un peu mécanique mais Harry Gruyaert parvient à aller au-delà du simple souvenir in-conscient glissé dans la photo. Il raconte en préambule comment, dans les années 1960, sa petite amie le quitta. Il était alors fou de Monica Vitti et du cinéma d’Antonioni. Dans ses clichés défilent depuis des paysages vides, des femmes de dos, parfois blondes… une absence qui ressemble à Monica. Dans le flou du souvenir, l’amour de jeunesse et l’amour de la star finissent par se confondre. Anita Ekberg errant dans une fontaine romaine, Robert Mitchum sautillant sur une plage de Méditerranée, les formes de Sofia Loren pétries de soleil, le trench-coat d’Ingrid Bergman parmi les pulls rayés des pêcheurs italiens… en inscrivant ces corps rêvés dans la réalité d’une époque, les grands paparazzi ont imprégné notre existence de cinéma.

Adrien Gombeaud, Les Echos – vendredi 11 mai 2007

 

Les Transphotographiques (Lille, Courtrai, Lambersart, Roubaix, Valenciennes) du 10 mai au 17 juin. www.transphotographiques.com. A Lambersart : collection Michel Ginies « Paparazzi-Rome et la Dolce Vita », au Colysée. A Lille : Léo Mirkine « Stars », à l’hôtel de la Monnaie ; Federico Patellani « La Piu Bella Sei Tu », à la Maison Folie de Wazemmes ; Lucien Clergue « Sur le tournage du Testament d’Orphée », au palais Rihour. — « L’Image d’après. Le cinéma dans l’imaginaire de la photographie » à la Cinémathèque française à Paris jusqu’au 30 juillet. www.cinematheque.fr Catalogue 279 pages, 34 euros.

Ingrid Bergman immortalisée par Federico Patellani, à Stromboli.

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Depuis 1997, l'Atelier de la Photo, devenu en 2003 la Maison de la Photographie, présente à Lille le meilleur de la Photographie internationale, tout en soutenant la création régionale et la pratique amateur.