Dans les yeux de Charlotte Rampling
Un regard. Celui de Charlotte Rampling dévoilé à travers des portraits d’Helmut Newton, David Lynch, Peter Lindbergh, etc. Mais aussi son regard : celui qu’elle porte sur la vie à travers ses clichés à découvrir à Lille jusqu’au 16 novembre.
On parle beaucoup « des yeux de Charlotte Rampling qui sont mythiques. Mais Charlotte, c’est aussi un regard sur sa propre vie et sur notre vie… Ce qui fascine sur un plan personnel et professionnel, c’est que rien n’est anecdotique chez elle. » Qui mieux que Jean-Michel Jarre aurait pu rendre un si bel hommage à cette actrice, peintre et photographe qu’est Charlotte Rampling ? Tout juste arrivée à la Maison de la Photographie à Lille-Fives, cette grande dame aux yeux de chats, au regard empli de spleen et de tendresse, embrasse son ex-mari qui lui lance un complice « Bonjour Madame, Comment allez-vous ? » Droite dans son tailleur pantalon, Charlotte parcourt l’exposition qui lui est consacrée et que les Parisiens ont pu découvrir cet été à la Maison Européenne de la Photographie (MEP). Le résultat est-il plus probant à Lille ? « Je ne dis jamais « je préfère » : ça ne me correspond pas, dit-elle. C’est très différent, ici, c’est très beau. J’aime beaucoup. »
Celui qui fut son mari « pendant près de 30 ans » confie son enthousiasme : « J’aime beaucoup cette version. Il y a un côté très formel à la MEP, ici c’est plus trash et la lumière du jour donne vie à l’expo. En plus, le bâtiment est superbe ». Le maître des lieux, Olivier Spillebout, raconte à ce couple mythique l’histoire de l’ancienne usine à papier devenue lieu dédié à la photographie.
Une expo mise en musique
Pour accompagner les Lillois dans leur visite, Jean-Michel Jarre a eu l’idée d’une « création sonore » : « une musique liée à notre vie commune à partir de réminiscences de morceaux composés depuis que l’on s’est rencontré et des nouvelles créations ». Une vie commune en musique. Et une complicité étonnante. « C’est très rare, re-connaît Jean-Michel Jarre. Toute notre famille est fusionnelle. Ça tient à nos personnalités. Il y a un côté jumeau dans notre manière d’approcher la vie, les valeurs de la famille, la vision de la vie. Ce sont des caractères qui se complètent et se respectent avec beauf coup de tendresse et de complicité. » L’énigmatique Anglaise, qui fut mannequin avant de plonger dans l’univers du théâtre et du cinéma, a confié dans cette expo quelques-uns de ses « Albums secrets ». Des photos de ses enfants, de ses voyages, des oeuvres qui l’entourent. Une reprographie du grand mur d’images de sa cuisine est d’ailleurs exposée à côté des écrans diffusant un diaporama
d’images personnelles. Une mise à nu que l’on retrouve à travers les photos d’elle prises par Helmut Newton, Bettina Rheims ou Jacques Bosser qui ont sublimé la beauté de l’actrice-photographe. Est-il plus difficile de se dévoiler devant un objectif ou de dévoiler des bribes de sa vie à travers des photos de famille ? « Ah… le rapport que le photographe a avec son image… Parfois bien, parfois pas bien, s’amuse-t-elle. C’est l’ambivalence du processus créatif ». Devant le violent autoportrait de Nan Goldin (Nan after being batte-red) se représentant le visage tu-méfié, l’oeil ensanglanté, on s’étonne du choix de photos si trash par l’élégante Charlotte Rampling. « Tout est difficile quand on est exigeant, nous répond-elle. Surtout quand il s’agit de choses personnelles, de l’in-time. Tout acte personnel est douloureux. On est comme Nan Goldin et, à un autre moment de sa vie, on est radieuse et belle. Ce sont les bosses de la vie. Il faut se faire « bosser » un peu… »
À 66 ans, l’actrice découverte par Luchino Visconti n’en dévoilera pas plus. Marquée par la mort bru-tale de sa soeur à 24 ans, cette fille d’un militaire n’a cessé de cultiver un côté obscur, peut-être lié à ce deuil et une éducation rigoureuse, mais aussi une forme de liberté et de rébellion pleine de vie. « Je suis aussi monstre que je ne suis gentille. Il faut les contras-tes… », sourit-elle. Qu’aurait-elle fait si elle n’était pas devenue actrice ? « Je suis assez fascinée par la photo. J’aurais fait du photo-journalisme. J’ai toujours pensé que j’étais capable de faire ça. » Même dans des pays en guerre ? « Oui, j’ai une forme de courage un peu fou que j’utilise un petit peu dans le cinéma. Mais les dangers sont très limités sur les plateaux, c’est un peu « safe ». » La démarche féline, Charlotte Rampling poursuit sa déambulation au milieu des tirages. Intrigante. « Le photographe cherche ce qu’il y a derrière ce que l’on ne voit pas… », souffle-t-elle. Énigmatique personnage cette Charlotte.
Laurie Moniez
Nord Éclair du 23 septembre 2012
ÉCLAIRAGE
Charlotte Rampling, « Albums secrets »
Après l’exposition William Klein, qui a officialisé son partenariat avec la Maison Européenne de la photographie à Paris (MEP), la Maison de la Photographie lilloise crée l’événement. Plusieurs centaines de personnes étaient présentes lors du vernissage de l’exposition consacrée à Charlotte Rampling, vendredi soir. Il faut dire que l’exposition est séduisante : en plus des portraits de l’actrice réalisés par les plus grands photographes du dernier demi-siècle, et des photos personnelles de Charlotte Rampling, cette grande darne du cinéma français et britannique a choisi une série d’autoportraits de photographes puisés dans la collection de la MEP. De Robert Mapplethorpe à Irving Penn, en passant par Martine Franck photographiant Cartier Bresson dessinant son autoportrait, la collection vaut le détour. Dommage que les grands formats soient si peu nombreux.
« Le photojournalisme : c’est ça que je pensais faire, et j’ai toujours pensé que j’étais capable de faire ça. Je suis assez fascinée par la photo. » Charlotte RAMPLING