Nouvelle bataille. L’Institut pour la Photo ouvre ses portes aujourd’hui dans le Vieux-Lille avec une grande exposition. “Bébé” de Xavier Bertrand, président divers droite des Hauts-de-France , et de Martine Aubry, maire socialiste de Lille, le projet menace directement la Maison de la Photographie, vieille institution lilloise dédiée au huitième art. Son directeur, Olivier Spillebout, vent debout contre cet adversaire qu’il accuse d’une forme de concurrence déloyale, vient de publier une lettre ouverte au vitriol à Xavier Bertrand (ce n’est pas la première fois qu’il réagit). Et ce n’est pas tout…Entretien.
En février dernier, la Maison de la Photographie saisissait
le tribunal administratif de Lille avec une requête introductive d’instance portant recours en annulation d’une délibération du conseil régional des Hauts-de-France (19 octobre 2018 et 18 janvier 2019). Par le biais de sa commission permanente, ce dernier affecte une enveloppe de 1,6 million d’euros “afin de poursuivre les études déjà engagées dans le cadre de l’implantation de l’institut pour la photographie“. Ce dernier est le fruit d’un accord non-écrit entre Martine Aubry et Xavier Bertrand (relire notre article). Elu grâce au forfait de la gauche à la tête des Hauts-de-France, cette dernière absente de l’hémicycle, Xavier Bertrand, passionné de photographie, cherche à donner des gages au camp de Martine Aubry et à son électorat, sensible aux thèmes culturels. Un calcul partagé par les deux protagonistes, engagés chacun de leur côté dans leur campagne pour se faire réélire.
Les décisions du conseil régional en question seraient entachées d’illégalité. De plus, le directeur général des services du conseil régional ne pouvait rejeter la demande de retrait formulée par la Maison de la photo, puisqu’il n’avait pas de délégation précise pour ce faire. S’ensuit une série d’anomalies (défaut d’information de la commission permanente, rupture d’égalité devant la loi et violation de la liberté associative,…) qui pourraient, selon le plaignant, aboutir à l’annulation de la mesure.
C’est le principe même de l’institut qui est visé par le mémoire d’avocats (Manuel Gros, Heloïse Hicter et ass.). On peut y lire : “Créant une “super” association régionale, transparente ou para administrative, dotée de crédits illimités, les délibérations attaquées créent une rupture d’égalité entre les associations régionales“. Et “A terme, (L’institut de la photo) monopolisant les subventions…éliminera les “vraies” structures associatives“…Dont la Maison de la Photo, à l’instar d’autres, la profession d’auteur-photographe subit les contraintes économiques. Il y aurait même une intention de nuire, de “mettre à l’écart,” à l’endroit de la Maison de la Photo de Lille-Fives… Bref, le contentieux n’est pas près de s’éteindre sur fond de campagne électorale lilloise à couteaux tirés. Violette Spillebout, épouse du fondateur de la Maison de la Photo, candidate LREM, est une opposante clairement affichée à Martine Aubry, et Xavier Bertrand saisit l’argument au vol. Le directeur s’explique :
DailyNord : Votre combat ressemble au pot de fer contre le pot de terre. Pensez-vous avoir une chance de le gagner ? La Maison de la Photo risque de disparaître…
Olivier Spillebout : Ce combat n’est plus seulement celui de la Maison de la Photo, mais bien celui de la photographie régionale, et même nationale, celui aussi de la culture. Effectivement oui, c’est un peu le pot de fer contre le pot de terre. La Maison de la Photographie est un projet indépendant qui a démarré bien avant que Martine Aubry ne devienne maire de Lille. Comme souvent avec certaines personnalités politiques qui ont de grandes ambitions personnelles, elles ne sont pas intéressées par un projet déjà existant qui ne porte pas leur signature. Donc, quand vous réalisez un projet culturel qui fonctionne bien, et qu’en plus vous vous permettez de critiquer la politique culturelle du maire, alors les conditions sont réunies pour que ça soit compliqué. Est-ce que la Maison de la Photo peut disparaître ? Bien sûr, je suis prêt à aller jusqu’au bout de mes convictions car la justice et l’équité sont fondamentales pour moi. (NDLR : d’où l’action en justice, voir ci-dessus)
DailyNord : On dit que ce combat est un prétexte dans la campagne municipale lilloise puisque votre épouse est engagée ? Pour développer une certaine vision de la politique culturelle par exemple.
Olivier Spillebout : Mon épouse est engagée dans le paysage politique depuis longtemps, avec un regard critique sur de nombreux sujets de la ville, qui vont bien au delà des sujets culturels. Elle a choisi ces deux dernières années, et c’était un cheminement assez naturel, de ne pas être dans la critique, et de proposer une alternative à la gouvernance actuelle. Je n’ai pas besoin d’être instrumentalisé pour donner mon avis sur ce que devrait être une politique culturelle, tant au niveau local que national. Bien évidemment, ce qui vaut pour Lille3000, vaut pour l’Institut pour la Photographie. Nous sommes dans le même constat : un élu autoritaire, qui accepte très peu la contradiction, qui prend la main d’une collectivité, qui prépare une élection présidentielle, et qui pense que tous les efforts déployés en local sur des projets culturels “formidablement réussis”, permettront d’affirmer une capacité à faire au niveau national. Xavier Bertrand reproduit malheureusement la stratégie de Martine Aubry avec 10 ans de retard.
“Je n’ai pas de stratégie politique”
DailyNord : Depuis quelques mois et avec cette lettre ouverte, vous visez Xavier Bertrand, le président des Hauts-de-France qui finance l’institut de la photo, et adversaire déclaré d’Emmanuel Macron. Or Violette Spillebout est investie par En Marche, le parti présidentiel…
Olivier Spillebout : Je n’ai pas de “stratégie politique”. Je porte le projet de la Maison de la Photo et des Transphotographiques depuis 20 ans. Depuis que Xavier Bertrand a annoncé son projet d’Institut pour la Photographie, en accord avec Martine Aubry, tout est mis en oeuvre pour que nous perdions nos financements. Il est donc totalement légitime que je m’insurge contre ce projet qui engage des millions d’euros d’argent public.
DailyNord : La Maison de la photo a été critiquée par la municipalité, craignez-vous un retour de flamme de sa part ? Y compris sur le terrain du droit, ou sous la forme d’une riposte du berger à la bergère…
Olivier Spillebout : Les critiques de la municipalité sont infondées et fausses. Martine Aubry a expliqué en 2018 au conseil municipal qu’elle “suspendait” la subvention de l’association, qui existe depuis 1997, parce que “le risque était grand” d’un dépôt de bilan de la structure. Deux ans après, nous sommes toujours en vie, et les seules difficultés financières de l’association viennent justement du désengagement de la Ville de Lille. Les critiques du maire, c’est pour “tenter” de légitimer son règlement de compte politique envers moi et mon épouse pour son engagement dans la campagne municipale.
Nous transmettons chaque année le rapport du commissaire aux comptes, nous avons eu deux audits complets de la structure en 2007 et en 2017 par la société Deloitte, et différents contrôles des Impôts, de l’URSSAF, de l’Inspection du travail, ainsi que des audits des contrôleurs de gestion de la Ville et de la Région. Je suis donc très zen sur toutes ces “critiques”. A l’inverse, Lille3000 est-il aussi exemplaire ? Début 2019, cette association a fait l’objet d’un rapport de la Chambre Régionale des Comptes plus qu’accablant, pointant de nombreuses dérives, des salaires démesurés, un niveau de trésorerie exorbitant et un manque de transparence dans la gouvernance et la gestion de l’association.
Malgré des demandes de certains groupes politiques du conseil municipal, Martine Aubry refuse de soumettre Lille3000 à un véritable audit externe indépendant et refuse de réinterroger le modèle Lille3000, jugé trop coûteux au regard des résultats obtenus. C’est çà le vrai bilan culturel de Martine Aubry.
“Le salaire le plus élevé dans notre association est inférieur à 1500 euros nets par mois”
DailyNord : A vous entendre, il existe un entre soi propre au monde de la culture, et les élus s’en servent évidemment, mais vous appartenez à ce monde. En quoi êtes vous différent ?
Olivier Spillebout : Je n’appartiens pas à ce monde, le modèle culturel de la Maison de la Photographie, mais aussi le festival Transphotographiques, est très loin de ce modèle des méga-projets comme Lille3000, mais aussi l’Institut pour la Photo, ou encore Sériesmania. J’ai réussi à programmer de grandes expositions avec les plus grands noms de la Photographie à Lille, comme Peter Lindbergh, Costas Gavras, Karl Lagerfeld, William Klein, et le budget annuel de la Maison Photo a toujours été 10 fois inférieur aux budgets des méga-projets des politiques. On est bien loin des millions alignés pour faire fonctionner une maison folie, une maison du Hip-Hop, ou encore Lille3000 et l’Institut. On ne vit pas dans le même monde : on a toujours fait beaucoup avec peu. Je me sens plus proche du combat des interluttants (NDLR : intermittents) pour l’accès aux droits et la sécurisation des artistes et des salariés dans la culture, que du monde des grandes institutions culturelles. Je lutte chaque jour pour préserver les derniers emplois de la Maison de la Photographie, certains sont dans la structure depuis plus de 15 ans. Pour info, le salaire le plus élevé dans notre association est inférieur à 1500 euros nets par mois, bien loin des salaires exorbitants dans certaines structures lilloises.
DailyNord : Le ministère de la culture pourrait-il se saisir du dossier de l’institut ?
Olivier Spillebout : Le dossier de l’Institut pour la Photographie a une portée nationale. A ce titre, je pense que le Ministère de la Culture doit s’en saisir, et plus généralement du dossier de la photo en France. La parité, le statut de l’artiste, la rémunération, l’accès aux droits, la survie des structures associatives, l’emploi culturel en général …. La Maison de la Photo n’est plus en capacité de payer des droits d’auteur, de donner des aides à la création. Et si elle ferme, et bien tout simplement elle ne peut plus présenter des expos et soutenir les artistes. C’est donc tout un tissu culturel qui est fragilisé en France et dans notre région. Ces sujets font justement l’objet des tables-rondes que nous initions depuis mardi 8 octobre 2019 à la Maison photo, en essayant de proposer des solutions.
Article de Marc Prévost pour DailyNord du 11 octobre 2019
Marc Prévost, DailyNord 11 octobre 2019, Lire l’article ici