L’Institut pour la photographie en clair-obscur
Cadrage. Accueilli avec perplexité, l’IPP fait salle comble.
Un vernissage autour de la photographie a-t-il déjà reçu pareil accueil à Lille ? « Nous avons compté 1 600 personnes », s’étonne encore Anne Lacoste, la directrice de l’Institut pour la photographie (IPP), qui a ouvert ses portes « en préfiguration » le 12 octobre dans un ancien hôtel particulier du Vieux-Lille, dont les travaux seront achevés en 2021.
Professionnels ou amateurs, architectes, galeristes, ils étaient tous là : d’Alain Fleischer, directeur du très institutionnel Le Fresnoy, à Giovanna-Paola Vergari, responsable du compte Lille Instagram Officiel. « J’ai revu des gens perdus de vue depuis des années, se réjouit Eric Le Brun, qui dirige la maison d’édition Light Motiv. Le métier est dur, certains l’ont abandonné, mais je vois en l’IPP un outil d’éducation qui va peut-être donner envie aux librairies lilloises de créer un vrai rayon de livres photo. » Pour Giovanna-Paola Vergari, qui organise des prises de vue insolites de Lille, « on se penche enfin sur d’autres formes de photographie, telles que la pratique sur mobile ». La thématique des sept premières expositions, « Regards sur le quotidien », le confirme. Mais Anne Lacoste compte aller bien au-delà : « Nous aurons de nombreux axes : diffusion, conservation, soutien à la recherche et à la création, transmission et édition, éducation… Des structures comme le centre régional de la photographie de Douchy-les-Mines, le pôle photographique Diaphane, dans l’Oise, et la galerie Destin sensible, à Mons-en-Barœul, le font déjà, et nous travaillerons ensemble. »
« L’institution idéale ».
A l’origine de l’IPP, une poignée de main, l’été 2017, entre Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres d’Arles, et Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France, qui rêvait d’un projet à rayonnement régional et international. Ce serait « l’institution idéale qui manque à la photographie en France », avait déclaré Sam Stourdzé. Aux commandes : Marin Karmitz, fondateur des cinémas MK2 et collectionneur d’art, à la présidence ; Anne Lacoste, ex-conservatrice du J. Paul Getty Museum de Los Angeles et du musée de l’Elysée de Lausanne, à la direction. Côté financement, l’association de préfiguration de l’IPP s’appuie sur la région Hauts-de-France, qui investira 12 millions d’euros, et les Rencontres d’Arles, membres fondateurs rejoints cette année par la ville et la Métropole européenne de Lille, ainsi que par la DRAC Hauts-de-France. Son budget de fonctionnement devrait se situer entre 2 et 3 millions d’euros par an, en fonction du mécénat attendu en complément.
Pari.
Reste que la création de l’IPP a pris tout le monde de court. « L’annonce du projet m’a surpris, tout comme il a surpris Fred Boucher, de l’association Diaphane », avoue Jean Marc Vantournhoudt, président du CRP, également photoreporter. La Maison de la photographie, à Fives, a même quitté le comité des experts après quatre réunions à Lille, à Douchy, à Arles et à Beauvais. Son directeur, Olivier Spillebout – époux de Violette Spillebout, candidate LREM aux municipales – ne voyait pas l’intérêt de « plaquer Arles à Lille ». « Ces réunions sans ordre du jour ni compte rendu étaient exclusivement descendantes », résume-t-il, ulcéré. « On parle plus d’Arles que de Douchy en dépit de nos quatre créations annuelles. Et nous avons été quasiment convoqués à Arles afin de signifier notre accord, sans vraiment pouvoir parler, déplore de son côté Marc Vantournhoudt, qui n’a en revanche pas claqué la porte des discussions. Je m’entends très bien avec Anne Lacoste, et Marin Karmitz est charmant. Nous faisons le pari de retombées favorables. Xavier Bertrand est venu à Douchy et a vu nos conditions laborieuses de travail dans une ancienne poste, malgré le soutien de la DRAC. L’IPP va nous aider à référencer les 7 000 ouvrages de notre bibliothèque – nous n’avions pas le personnel pour cela. »
Selon Olivier Spillebout, « les missions de l’IPP, si elles sont plus larges que celle de la Maison de la photographie, n’en sont pas très éloignées ; l’unique différence est la conservation des fonds photographiques, mais Douchy le fait très bien. » Les relations entre Fives et Douchy se sont pourtant bien refroidies, Marc Vantournhoudt n’ayant assisté qu’aux premières Transphotographiques organisées par la Maison de la photographie, sans plus jamais retourner à Fives. Et, quand on lui fait observer que sa structure ne répond à aucun cahier des charges pour justifier ses dépenses – la mairie de Lille a supprimé en 2018 la subvention de 130 000 euros –, Olivier Spillebout rétorque que « cela fait vingt-deux ans qu’aucune collectivité ne lui en a proposé, tout simplement parce que Martine Aubry décide les grands projets seule et sans transparence ». Anne Lacoste, elle, dédramatise. « J’ai rencontré le collectif des 100 photographes qui demandaient à être associés à l’IPP et sollicitaient une aide à la création. C’est au public et aux professionnels de s’approprier ce lieu. Arles est une plateforme de diffusion, l’IPP sera avant tout une plateforme de production pour artistes, chercheurs, historiens de l’art. Nous offrirons par exemple quatre bourses de 15 000 euros. »
Geoffroy Deffrennes & Clémence de Blasi