À Lille, la Rome des années 50 vue par le photographe William Klein :
« Je me croyais toujours dans un film italien », La silhouette est un peu voûtée, le pas lent, la canne indispensable. William Klein a 84 ans.
Ses photos de Rome, ébouriffantes de jeunesse, débordantes de vie, le feraient oublier. Sur les murs de la Maison de la photographie, c’est l’Italie rêvée, fantasmée et vraie des années 50. Courses folles en Vespa et dômes d’église ; linge qui sèche et ruines antiques ; ragazza belle comme Sophia Loren et ragazzo endimanché. C’est la Ville éternelle, rendue plus éternelle par cette déclaration d’amour photographique.
Groupie de Fellini
Entre Klein et Rome, l’histoire aurait pu ne pas être. Mais l’artiste, tout jeune alors — 28 ans —, avait du culot. « Fellini, dont j’étais une groupie, était à Paris, ra-conte-t-il de sa voix à peine teintée d’accent américain. Je voulais absolument avoir un contact avec lui, j’ai appelé son hôtel, on me l’a passé. » Le cinéaste italien confie au photographe que le New York qu’il vient de publier est son livre de chevet et… lui offre d’être assis-tant sur son prochain film. « J’ai demandé « L’assistant, qu’est-ce qu’il fait ? » — « Si je suis malade, il tourne l ». » À Rome, le photographe évolue entre prostituées et maquereaux, petit monde qui doit inspirer il maestro pour le tournage des Nuits de Cabiria. Le film prend du retard, William Klein décide de rester, photographier, faire un livre. « C’était autre chose que New York. Je ne connaissais pas la ville, sauf par le cinéma. » 11 le dit et le répète : « Je me croyais toujours dans un film italien. » Chez ce grand témoin du XXe siècle affleure un soupçon de nostalgie : « Dans le Trastevere, les gens mangeaient dehors et levaient le poing, heureux que je m’intéresse à eux…
À l’époque, le PC faisait 25 % aux élections. Ce n’était pas l’ambiance de fric d’aujourd’hui. Et cette ambiance, je voulais la rendre en photographies. » Lui l’étranger, américain loin de sa Grosse Pomme et de ses repères, y parvient mieux que quiconque : « C’était le début de ma carrière, je devais me mettre un peu en danger. Ensuite, j’ai fait un livre sur Tokyo. Je ne comprenais rien, j’ai travaillé au pif… »
Esprit du Louvre Lens
La Maison de la photographie lilloise inaugure une nouvelle ère avec « Rome + Klein ». Discrète de-puis l’effacement des Transphotographiques (festival appelé à renaître sous d’autres formes), elle est désormais partenaire de la Maison européenne de la photographie à Paris. « Dans l’esprit du Louvre Lens, de Beaubourg à Metz », avance son directeur, Olivier Spillebout. « Pourquoi pas ? C’est une belle idée », répond Martine Aubry. En 2004, Jean-Luc Monterosso, di-recteur de la MEP, était commissaire des Transphotos. Et William Klein avait tiré le portrait de Lillois. Huit ans plus tard, certains de ses modèles découvrent en même temps l’artiste un peu vieilli et les photos du printemps de sa vie.
Catherine Painset
Voix du Nord du 16 mai 2012