LE FIGARO mercredi 30 mai 2007
Tout un cinéma à Lille
Près de soixante-dix expositions gratuites reviennent sur la tradition du portrait propre au septième art et présentent ceux qui décortiquent le mythe.
UN HOMME en costume esquisse un pas de danse sur la plage. Beau joueur, Robert Mitchum, très classe, se livre sans fard au photographe Léo Mirkine. L’homme est présent pour saisir l’image d’une star qui se déplace à pied sans garde du corps, comme c’était le cas dans les années 1950 à Cannes.
Tous les grands noms du cinéma de cette époque se sont prêtés au jeu du photographe comme en témoignent les dizaines d’images exposées dans le bel Hospice Comtesse à Lille dans le cadre des Transphotographiques.
Autre temps, autres moeurs, les Photomaton des stars des années 2000 sont accrochés sur les murs bruts de l’ancien centre de tri postal de la gare LilleFlandres.
Les acteurs présents à Cannes entre 2004 et 2007 ont tous répondu à l’invitation du photographe Denis Rouvre qui leur demandait de poser seuls, comme ils le souhaitaient, dans une cabine aménagée en studio. Beaucoup grimacent, même les jolies filles d’habitude plus guindées et farouches sur le tapis rouge des marches du palais. À l’heure où l’image se négocie par l’entremise d’un agent et s’orchestre dans une campagne de promotion bien huilée, les photos que l’on peut voir à Lille dans le cadre du festival témoignent des séduisantes liaisons qui ont toujours existé entre le cinéma et la photographie, de leur évolution radicale aussi.
Un jeune débutant nommé Gérard Philipe
Au rayon douce nostalgie, il y a les clichés de Federico Patellani, visibles à la Maison Folie de Wazemmes, qui capte une passion mythique entre Roberto Rossellini et Ingrid Bergman, sur le tournage de Stromboli ; il y a le journal de bord du tournage du Testament d’Orphée que suit assidûment et en totale liberté Lucien Clergue fasciné par le ballet de stars attirées par le maître Cocteau ; il y a la fontaine de Trévi qui devient soudainement le monument le plus sensuel de la terre grâce à un paparazzi futé ; il y a aussi, à l’aube des années 1940, la photogénie éclatante d’un jeune débutant constellé de tâches de
rousseur nommé Gérard Philipe, qui n’échappe pas à l’oeil avisé de Léo Mirkine. Des images comme celles-ci, qui sculptent les mythes indissociables d’une certaine idée du cinéma, on pourrait en citer des dizaines. Le jeune festival de photographie de Lille ne s’est pourtant pas arrêté à cette vision idyllique. Il livre aussi les travaux de photographes qui montrent l’envers du décor. Au Tri postal, les visiteurs peuvent ainsi découvrir le travail très intéressant de
Stephan Zaubitzer sur le cinéma populaire à Cuba, images de salles improvisées au matériel désuet et d’enfants qui viennent chaparder des images, l’oeil collé à la serrure. Stefano de Luigi montre quant à lui les scènes hors champ des films pornographiques à petit budget pour mieux pointer la détresse de leurs participants. Cédric Delsaux, que l’on pourrait prendre pour le plus facétieux tant il plaît aux enfants qui viennent avec leur classe, a digéré les deux trilogies de Star Wars en contre-attaquant : à l’aide de figurines et de l’ordinateur, il replace les personnages du film dans les villes du Nord avec un don inné pour trouver des décors qui pourraient être de cinéma.
À l’étage, la galeriste parisienne Françoise Paviot a imaginé une exposition autour de la séquence à partir de collections publiques. Cette séduisante suc-cession d’images fixes, organisées en diptyques, triptyques ou en tableaux est signée Dieter Appelt, Nancy Wilson-Pajic, Jocelyne Alloucherie ou encore Muybridge, l’un des pionniers de la décomposition du mouvement qui en 1878 montre le galop du cheval, l’une des plus vieilles leçons de cinéma.
Françoise Dargent, Le Figaro du 30 mai 2007
www.transphotographiques.com.
Tom Hanks (1) et Mathieu Amalric (2) photographiés par Denis Rouvre. Jim Jarmusch (3), photographié
par Patrick Swirc. Denis Rouvre, Patrick Swirc.