La Maison de la photo expose, jusqu’en avril, de nombreux tirages du maître balte, célèbre sous nos latitudes pour son portrait de Sartre. Le passionnant travail de Sutkus dans la Lituanie soviétique témoigne du quotidien du peuple balte, dans la veine de la photographie humaniste.
Tout le monde connaît Antanas Sutkus, 78 ans. Souvent sans le savoir. Le photographe lituanien, dont le nom est inconnu du profane, est l’auteur d’une photo gravée dans l’inconscient collectif : Jean-Paul Sartre, de trois-quarts dos, sur un fond vaporeux, voûté comme en lutte contre une force invisible. Cette image puissante, dont Libération fit une Une célèbre, on ne la verra pas à la Maison de la photo. L’expo ici montrée, venue du Château d’eau à Toulouse, est d’une autre nature. Elle s’attache au grand travail mené par le photographe, dont le credo tient dans l’intitulé d’une de ses premières séries : « Le peuple lituanien. »
« Chaque homme est important »
Et il est partout dans l’accrochage fivois, ce petit peuple de la Lituanie soviétique, celui des chantiers navals, des arrêts de bus, des fermes collectives, des grands ensembles comme du vieux Vilnius. Le peuple de la rue. « Pour lui, le temps photographique est comme la respiration, a écrit Margarita Matulyté, citée par l’expo. Chaque moment est important, chaque homme croisé dans la rue est important. »
Malgré la férule de l’URSS, on cherchera en vain l’influence du réalisme socialiste dans les visages saisis par le maître balte. Nulle idéalisation chez celui qui emprunte davantage à la photographie humaniste, et déclenche « sans réfléchir », « comme s’il était amoureux ». Dans ce quotidien sans artifices, femmes et enfants se taillent la part du lion. Les premières sont des lavandières qui sèchent leur linge, des ouvrières en train de tracer une route, des élégantes en équilibre sur un trottoir ou une serveuse en pause clope. Les seconds montent des vélos trop grands pour eux, jouent au pied de maisons fissurées, étreignent une main protectrice, quand ils ne s’assoupissent pas au cimetière.
L’URSS en toile de fond
Pionniers, fermes collectives, villages des travailleurs : la domination soviétique transparaît sur les vibrants clichés de Sutkus. Mais en arrière-plan. On tombe sur des photos de Lénine et Brejnev, mais brandies par des manifestantes parcheminées. Il y a bien un autre cliché de Lénine : sa statue, déboulonnée à Vilnius en 1991. De la main, Vladimir Ilitch Oulianov désigne l’horizon. Mais la grue, inexorablement, le tire en arrière.
À voir en parallèle, l’expo Rêves de banlieue, de l’Américaine Beth Yarnelle Edwards, qui met en scène la classe moyenne des banlieues.