« J’oublie que je suis animateur quand je fais de la photo », confie Nikos Aliagas
Une trentaine de grands formats à la Maison de la photographie, quelques clichés à la gare : l’animateur télé expose « L’Épreuve du temps » à Lille. Dans un noir et blanc très contrasté, des mains et des visages expressifs et denses.
– Qu’est-ce qui vous fait prendre une photo ? Est-ce l’esthétisme de la scène qui s’offre à vous ou la rencontre humaine ?
« Le cadre ou l’énergie ? Les deux. Mais c’est d’abord la lumière. Je travaille sans flash la plupart du temps. Ce que j’aime, c’est la rencontre non programmée. Quand je me réveille le matin je me dis « combien je vais encore en rater ? » parce que je n’aurai pas mon appareil, que je serai en bagnole ou que je n’aurai pas la bonne lumière. Une photo, ça se fait par hasard, j’observe quelqu’un, il se dit « pourquoi il me regarde celui-là ? », il y a un moment un peu latent, étrange, puis je discute, il comprend, je ne vole rien. »
« Parce que je vois aussi du noir et blanc dans les couleurs. Le rouge est une couleur, en noir et blanc c’est une nuance claire, un gris-blanc. Quand je vous vois, je pense en noir et blanc. Mais surtout, affectivement, parce que mes premiers émois c’est en voyant des photos de mes parents jeunes, en noir et blanc. J’avais 6-7 ans, et j’ai réalisé que mes parents vieillissaient aussi. Ça a été un choc. La première épreuve du temps, elle est là. »
– Vous avez commencé enfant la photographie ?
« Oui, mon père, un peu plus tard, m’offre un Instamatic. Je fais beaucoup de photos enfant, ado, étudiant. Et puis j’arrête en entrant dans la vie active, parce qu’il faut garder les bobines, développer… Entre-temps je cadre, je suis reporter à Euronews, je fais du docu, je vais sur le terrain, etc. Et j’y reviens beaucoup plus tard, grâce au téléphone, à quelques petites applications. Et en fait ça joue un rôle – je l’ai dit un jour, sur un malentendu – d’antidépresseur. J’ai besoin de cette errance, de marcher, de rencontrer des gens. »
– Et pourquoi les mains ?
« Parce qu’elles disent ce que l’homme cache, ou omet de dire. Une vieille dame aujourd’hui, on la reconnaît aux mains, plus au visage. Un homme ausi. Et parce que les mains trahissent ta façon de vivre, d’être, tes secrets, ce que tu ne sais même pas toi-même. Et je suis fasciné aussi parce que j’ai un père tailleur, et qu’on a les mêmes mains. Avec les mêmes défauts de fabrication. Et mon fils aussi a les mêmes, avec la même peau. Mon père m’a nourri, il a aimé, il a touché, il a fait des choses bien ou pas bien grâce à ces mains qui sont maintenant les miennes. Et c’est un lien. Tu donnes ta parole, tu donnes ta main. »
– Les gens comprennent que vous vouliez photographier leurs mains ?
« Non, ils ne comprennent pas. Et c’est là où je peux être bon. Parce qu’ils n’ont pas le temps de réagir. Ils ne posent pas. Les gens devant un objectif sourient, c’est ridicule, c’est un sourire de désespoir. Quand on voit sur Instagram ou ailleurs tous ces selfies, ça me fait rire. Tout le monde prend des photos aujourd’hui, mais être photographe c’est autre chose. Dans photographe, il y a «graphe» c’est-à-dire «écrire», «signer». Tu signes grâce à la lumière. Il faut avoir un truc à dire quand tu fais de la photo. Avant, dans les villages, quand on faisait des photos de classe, les gamins ne souriaient pas. Ils étaient sérieux, c’était un moment important. Et ce que j’essaie de trouver, c’est l’importance du moment. »
– Il y a aussi ici, dans cette exposition, un hommage à l’enfance, à la Grèce…
« Je suis né en France mais j’ai appris la Grèce l’été, quand je retournais au pays de mes parents en tant qu’enfant d’immigré. Oui l’enfance, un esprit de l’enfance comme dirait Roger Pol-Droit. C’est étrange, les gens me touchent quand j’arrive à les imaginer jeunes quand ils sont vieux ou quand je vois les vieillards qu’ils vont devenir quand ils sont jeunes. Dans la photo on voit tout. La vie, l’ADN, l’avenir. »
– L’exposition s’intitule « L’Épreuve du temps ». C’est l’une de vos préoccupations ?
« Oui, intime, intrinsèque. Mais en même temps dans «l’épreuve», sans jeu de mot facile, il y a «les preuves». Ma démarche photographique n’est ni commerciale ni une posture de marketing, ni de l’image, c’est une nécessité. Quand je suis devenu père, c’est devenu une urgence, j’ai commencé à exposer sur Instagram, sur Flickr, et je me suis rendu compte que j’avais plusieurs dizaines de millions de vues. Des gens qui ne savaient pas qui j’étais, à l’étranger. Ça m’a donné un peu confiance, les galeristes m’ont appelé, et voilà. »
– Parvenez-vous à faire la part entre votre renom et un intérêt réel pour vos photos ?
« Non, c’est le temps qui nous dira si les photos valent quelque chose. Quand bien même elles ne restent pas, est-ce qu’elles ont dit quelque chose, ces photos ? Alors évidemment je vais plus attirer l’attention parce que je passe à la télé et qu’on me voit dans les magazines, mais si tu n’as rien à dire, la photo n’a rien à dire non plus. »
– Comment conciliez-vous le côté superficiel et immédiat de la télé et ces photos rudes, sans artifice, inscrites dans le temps ?
« La télé, c’est un métier d’artisan pour moi. C’est une technique. Quand je mets mes habits de lumière, c’est pour faire mon métier. Je gagne ma vie et je divertis les gens. Je pourrais faire une émission intello, tard le soir, mais je ne le fais pas. À la radio c’est différent, je suis plus dans l’introspection. Mais je connais les règles du jeu, j’ai un cahier des charges. Je ne suis pas un autre, je ne mens pas, je suis aussi cela. Comme on l’est dans une soirée quand on invite des gens, on ne fait pas la gueule à la maison. C’est pareil. Mais quand je sors d’un plateau, la lumière reste sur le plateau, elle ne vient pas avec moi, même dans la rue. Après les autres, dans la rue, te le rappellent, ils veulent le numéro de claquettes ; je joue le jeu, jusqu’à un moment. Quand ça devient ridicule, j’arrête. J’oublie que je suis animateur quand je fais de la photo. Ça ne me concerne plus, ce n’est pas la même posture. Quand je fais de la photo, je ne travaille pas, je vis. »
–C’est à Lille votre quatrième exposition sur le même thème, après la Conciergerie, Lyon et le palais Brongniart. Comptez-vous publier un livre ?
« J’ai beaucoup de propositions, notamment de bouquins sur la Grèce. J’ai publié il y a quelques années des photos faites à l’iPhone, un exercice de style qui s’appelait Nikos Now, j’en ai tiré 4 000 exemplaires et je me suis arrêté là. J’ai envie de publier, mais ce n’est pas encore le moment. Je ne me presse pas. Il faut que l’œuvre mûrisse un peu, j’ai besoin de ça. Il y a une idée qui me tente, ça serait d’aller photographier et interviewer, avec ma sensibilité de photographe et de journaliste, dix grands photographes d’aujourd’hui, de JR à Yann Arthus-Bertrand, de Reza à un photographe de mode. »
Catherine Painset
Exposition « L’Épreuve du temps » jusqu’au 21 mai, les jeudi et vendredi de 10 h à 18 h, le week-end de 14 h à 18 h, à la Maison de la photographie, 28, rue Pierre-Legrand à Lille (métro Fives). 8/5 €. Également à l’extérieur de la gare Lille-Europe.