William Klein et Rome « Ça s’est passé de façon loufoque »
Si Fellini n’avait pas eu du mal à boucler les financements d’un film tourné à Rome, William Klein n’aurait peut-être jamais photographié la ville éternelle. Une aventure en noir et blanc que l’on peut découvrir à la Maison de la Photographie. Bien au-delà de la seule Dolce Vita…
c’était au temps où le réceptionniste d’un grand hôtel ne vous raccrochait pas forcément au nez si vous demandiez à parler à un « monument » comme Federico Fellini. C’était au temps où le photographe William Klein venait de publier un livre sur New York, parce qu’il trouvait que la grosse pomme « se prenait un peu trop au sérieux ». C’était au temps où l’on photographiait en noir et blanc, où les femmes portaient des jupes évasées sous le genou, où les conducteurs de Vespa roulaient sans casque. C’était les an-nées 50. Le cinéaste Federico Fellini était de passage à Paris. Klein voulait lui offrir son livre de photos sur New York. Il ignorait que Fellini en avait fait un de ses livres de chevet. Un simple coup de fil, un rendez-vous dans un bel hôtel et Fellini qui demande à Klein de de-venir assistant sur son prochain film. « Je lui ai demandé : « c’est quoi assistant ? ». Il m’a répondu : « il n’y a pas de problème, si je suis malade, c’est toi qui tournes » ». Ben voyons… William Klein est engagé. Il racontait l’anecdote vendredi dernier, à la Maison de la Photographie à Lille lors du vernissage de l’exposition Rome + Klein. Il en a bien d’autres dans sa mémoire malicieuse. La genèse de ce voyage en noir et blanc dans les rues de Rome, par exemple.
Populaire et arty
Fellini s’apprête à tourner Les nuits de Cabiria. II a du mal à boucler le financement, a pris du retard pour son casting. Klein s’ennuie un peu et c’est tant mieux. « Ce n’était pas planifié. Disons que ça s’est passé de façon un peu loufoque. Je me suis dit : « Bon, j’ai fait un livre sur New York, pourquoi ne pas en faire un autre sur Rome ? » » New York, il connaissait et pour cause. Il s’était intéressé « aux New Yorkais comme un explorateur s’intéresserait aux zoulous ? Je recherchais les clichés les plus crus, le de-gré zéro de la photographie ». Rome, c’est autre chose. Une ville vraiment étrangère pour l’Américain émigré à Paris. Elle porte le poids d’un passé encombrant. Empereurs et papes y ont laissé leur empreinte de pierres. Elle sort d’années de fascisme. Elle bouillonne. Populaire et arty à la fois. Des artistes, des écrivains, des réalisateurs du monde entier y ont posé leurs valises. Quelques-uns — et pas les pires —serviront de guides dans cette Rome de l’an 1956: Pier Paolo Pasolini, Ennio Flaiano, Alberto Moravia. Klein traîne sur les plages d’Ostie, dans les ruelles où le linge pend aux fenêtres, immortalise les échoppes, les Romains en marcel, les religieuses de la place Saint-Pierre. Il y a de la tendresse dans ces clichés d’une ville entre Dolce Vita et réalisme cru. William Klein se souvient des rues de Trastevere, quartier alors populaire de Rome, « où tout le monde mangeait dehors. Quand ils voyaient mon appareil photo, les gens levaient le point en rigolant. Ils étaient solidaires avec le fait que je m’intéresse à eux » . Surtout, « ce n’était pas l’ambiance fric d’aujourd’hui avec les magasins Armani, Fendi… Rome, c’était une affaire de famille et j’ai été très touché par cette ambiance ». En arpentant les rues, William Klein est pourtant anxieux. « Ce n’est pas évident de photographier quelque chose que l’on ne connaît pas intimement » mais il se prend au jeu. Et au final, « j’ai eu l’impression d’assez bien comprendre les Italiens ». Valério, Italien, né à Rome dans ces années-là, confirme d’un simple hochement de tête quand, devant les photographies de Klein, on lui demande s’il reconnaît la ville de son enfance. Un sourire, un simplement mouvement de tête approbateur et tout est dit.
ÉCLAIRAGE
Un pacs entre Lille et Paris : La Maison de la Photographie, installée à Fives, va travailler en partenariat avec la Maison européenne de la photographie à Pa-ris (MEP). Deux fois par an, Lille accueillera des expositions présentées par la célèbre structure pari-sienne. Une collaboration qui ne doit rien au hasard puisque Jean-Luc Monterosso, le directeur de la MEP a été commissaire du festival des Transphotographiques en 2004. De quoi doper la Maison de la photo lilloise qui n’a pas encore trouvé son rythme de croisière. Première traduction concrète de ce partenariat : cette exposition Klein, visible jusqu’au 30 mai. L’occasion aussi de découvrir un lieu qui espère prendre un nouveau départ. Exposition Rome + Klein : du lundi au vendredi de 10 h à 18 h, 18 rue Frémy à Lille. Plus d’infos au 03.20.05.29.29.
Florence Traullé
Nord Éclair du 21 avril 2012