De la nature… et de la nature de la photographie
Jusqu’au 20 juin, une vingtaine d’expositions exigeantes aux Transphotographiques de Lille.
Près d’une ferme boueuse d’Irlande, la photographe Jackie Nickerson a capturé un petit morceau de nature : un chaos de lignes jaunes et vertes. Mais on reconnaît finalement un mélange d’éteules verticales et d’herbes folles, d’intervention humaine et de vie sauvage. La nature est rarement totalement naturelle.
Au festival des Transphotographiques de Lille, sous le thème « Une seconde nature », les commissaires Françoise Paviot et Gabriel Bauret ont réuni une vingtaine d’expositions exigeantes. Loin des appels nostalgiques à la nature virginale et des déplorations sur l’environnement, les photographes s’interrogent sur la nature de la nature. Photos anciennes, à travers la collection du centre régional de la photo de Douchy-les-Mines, ou travaux contemporains réunis au palais Rameau, interrogent autant la disparition de la nature sous l’action de l’homme que sa représentation.
Le Turc Ferit Kuyas, dans la série « City of Ambition », montre les abords d’une ville tentaculaire chinoise, Chongqing. Ses images aux couleurs chaudes tournent autour du sujet sans le saisir. Et pour cause : le nuage de pollution qu’elle génère l’enveloppe d’une brume impénétrable. Cette ville finit par avaler sa propre image.
A Lille, la nature est d’abord dépeinte comme une réalité fantasmée, fabriquée. Le plus radical est l’Espagnol Joan Fontcuberta, qui occupe l’exposition centrale du Palais des beaux-arts. « La nature, comme la photographie, est un univers en crise. La nature vierge n’existe plus que dans des réserves. Et la photo, avec le numérique, a perdu ses valeurs d’origine – la vérité et la mémoire. » A partir de là, l’Espagnol développe une oeuvre piquante et drôle, qui met en doute ce que l’on voit.
ORNITHORYNQUE
Ces vues de ciels étoilés, associées à des relevés scientifiques ? Des moustiques écrasés sur un pare-brise. Ces paysages vallonnés avec des montagnes et des rivières ? Des vues générées par ordinateur à partir de chefs-d’oeuvre de l’histoire de l’art. Dans chaque salle, réalité et fiction s’emmêlent. Fontcuberta imite les procédures scientifiques pour faire naître des récits pseudo-historiques ou des animaux de légende (licorne, dragon). Et pour pimenter l’expérience, il convoque aussi de vraies créatures extraordinaires, veau à deux têtes ou ornithorynque venus du Musée d’histoire naturelle.
Dans cette oeuvre délirante, le discours est parfois plus convaincant que le résultat. Même si les travaux anciens, d’avant le numérique, ont une simplicité lumineuse. Lorsque Fontcuberta copie les travaux de Karl Blossfeldt (1865-1932), ce fondateur qui s’extasiait sur la perfection des formes végétales, son oeuvre prend des accents tragiques. De loin, les silhouettes de plantes sont de toute beauté. Mais de près, on voit qu’elles sont faites de détritus. La photographie ne fabrique qu’illusion.
Claire Guillot