Nord Éclair : Banier expose Beckett à Lille
Le photographe François-Marie Banier présente, à la Maison de la Photographie de Lille, une riche exposition consacrée à Samuel Beckett.
Comment en êtes-vous venu à faire la rencontre de Samuel Beckett à Tanger, fin des années 70 ?
> Je voyais un homme extrêmement élégant, en short, avec un visage sculptural admirable. Au milieu de tous ces hommes et femmes en djellaba, cette « araignée » était étrange. Je le suivais souvent, je le photographiais quelquefois mais je ne savais pas qu’il était Samuel Beckett. Après, nous dînions dans le même restaurant qui s’appelait Gagarine. Il m’arrivait de me disputer avec les copains et c’était lui qui ramassait les fourchettes, les assiettes qui volaient. J’ai fini par faire sa connaissance.
Quelle était la teneur de vos conversations ?
> On a beaucoup parlé de la littérature, de la vie… Il y avait comme un jeu entre nous au niveau de la photographie.
Peut-on dire qu’il avait une silhouette d’échassier ?
> On n’avait jamais vu jusque-là un Beckett dont le corps est pareil au style et à l’œuvre.
Austère donc ?
> Complètement. Mais avec une amplitude importante. C’était un homme vraiment particulier.
Une série de photos le montre à Paris en 1989, année de sa disparition.
> Trois jours avant sa mort, il m’a donné l’autorisation de faire un vrai portrait de lui. Il se promenait entre sa maison de santé de l’avenue René Coty et l’union de Belfort.
Son œuvre tourne autour de l’impossibilité de vivre…
J’étais très attiré à cette époque par des êtres comme ça. Il y a un autre homme que j’ai photographié de la même manière, c’était Vladimir Horowitz. J’aime ces personnages silencieux qui sont non seulement en retrait de la vie, mais aussi en refus de la vie. C’était le cas aussi de Sylvana Mangano. Il y a une analogie entre Beckett et mes personnages solitaires que je photo- graphie dans la rue. C’est ça qui me passionne : montrer la solitude comme si elle était une œuvre.
Pourquoi avoir choisi Lille comme lieu d’exposition ?
> C’est la troisième fois que j’expose dans cette ville. Auparavant, c’était à Notre-Dame de la Treille et à l’église Saint-Maurice. La plus belle exposition que j’ai faite, c’était à la maison européenne de la photographie à Paris. Et la maison de Lille dépend de celle-ci. C’est une ville que j’aime beaucoup et je trouve le travail d’Olivier Spillebout (son directeur, NDLR) extraordinaire. J’ai une grande passion pour Pierre Mauroy, de l’admiration pour Martine Aubry. Les gens chez vous ne sont pas sectaires.
« L’émotion me fait avancer, mais elle peut être un piège »
Vous aimez les gueules…
> Celles qui représentent quelque chose, qui sont singulières, qui ne ressemblent à rien de connu.
Pourquoi éprouvez-vous le besoin de nouer des relations intimes avec les artistes ?
> Parce que ce sont eux qui se penchent sur les questions fondamentales pour échapper à la banalité, à l’ennui et à la mort. Ils me rejoignent dans une quête de l’essentiel qui est différente du quotidien. Cela permet de franchir les jours et surtout les nuits.
Une démarche au culot ?
> Quand j’ai commencé à publier des romans, ce sont Mauriac, Morand, Aragon qui sont venus vers moi. Je suis seulement allé chercher Horowitz.
Et Isabelle Adjani ?
> Le hasard total. Elle m’a été amenée un beau soir par l’acteur Pascal Greggory. J’ai fait beaucoup de photos d’elle, mais je ne pense pas qu’elle m’ait compris. Ce qui ne m’empêche pas de l’aimer beaucoup.
Marchez-vous à l’affectif?
> Totalement. Mais il arrive que cela me joue des tours de temps en temps. L’émotion me fait avancer, mais elle peut être un piège.
Avez-vous besoin d’être aimé ?
>> Plus le besoin de contact et d’être accompagné. La photographie, c’est l’échange. L’écriture aussi. Depuis l’enfance, j’ai un goût pour le prosélytisme, donner des cours de morale aux autres et à moi-même. Quand j’avais huit ans, j’étais aux sports d’hiver. Et j’ai réuni tout le chalet pour faire une conférence contre la cigarette.
Vous êtes photographe, romancier, auteur de pièces de théâtre, peintre… Un touche-à-tout ?
> Je ne danse pas, je ne chante pas, même si j’ai essayé (rires). J’ai écrit beaucoup, tous les jours. En ce moment, j’hésite entre un ro- man et une pièce de théâtre. J’ai des priorités comme ce livre Gran- des chaleurs où il y a toutes mes pérégrinations au Maroc pendant des années. J’ai montré des personnages qui me bouleversent parce qu’il y a toute une philosophie derrière les Arabes.
Propos recueillis par Patrice Demailly