« La naissance d’un troisième sexe «
Bettina Rheims expose à Courtrai jusqu’au 15 juin
C’est une star de la photographie. Elle a mis sur papier glacé Adjani, Duras, ou encore Rampling. Loin des paillettes, elle a aussi réalisé une série mythique « Chambre close » sur l’intimité des femmes dans leurs chambres d’hôtels. Entre-temps, elle a réalisé « Modern Loyers », une série de photos qui ressortent des placards après quelques expositions au début des an-nées 90. Elles sont visibles jusqu’au 15 juin à l’abbaye de Groening à Courtrai. Rencontre avec l’artiste.
Nord Eclair : Une des photographies de Modern Loyers est l’emblème des Transphotographiques’. C’est une fierté ?
Bettina Rheims : « Vous m’apprenez quelque chose. Je viens d’arriver sur Lille il y a deux heures et je n’ai encore rien vu. Si cest l’emblème et qu’on le voit en grand dans la ville, tant mieux. C’est même émouvant ».
N.E. : Quelle est l’histoire de cette prise de vue ?
B.R. : « C’était il y a à peu près quinze ans. Elle fait partie d’un projet que j’ai appelé « Modern Loyers ». Lors d’un casting, cette jeune fille, Josie, est entrée dans mon studio. Son visage de petit garçon m’avait frappé, j’étais troublée car d’ordinaire, e ne m’intéressait qu’aux tonnes très féminines. Quelques jours plus tard, c’est un jeune homme que j’ai photographié. Très doux, aux longs cheveux de fille, J’ai mis les deux photographies côte à côte. Leur côte androgyne, leur double appartenance, leur apparence christique m’ont marquée ».
N.E. : Et là, vous décidez de vous lancer dans « Modern Loyers » ?
B.R. : « Il y a quinze ans, nous étions en pleine période d’expansion du Sida. Faire l’amour comme en 68 ou 70 n’avait plus cours. C’était synonyme de mort. En voyant ces deux êtres, puis ensuite les autres, j’avais l’impression d’assister à la naissance d’un troisième sexe, même si maintenant ces attitudes paraissent normales. Ils étaient en train d’inventer un nouveau code de séduction. Car le code sexuel n’avait plus lieu. Il y avait une espèce de clivage, de rupture, de cassure. Alors, je me suis mise à chercher ce que j’appelle des anges. Je suis allée en Angleterre, où la jeunesse a toujours une longueur d’avance. J’ai même fait la première photo d’une jeune fille de 13 ans. Elle s’appelait Kate. Kate Moss ».
N.E. : Qu’est-ce que les gens ressentent à la vue de ces photos ?
B.R. : « Il faudrait leur de-mander ! Je peux en tout cas vous dire que les deux premières expositions de Modern Loyers, à Charleroi et Paris, il y a quinze ans, ont attiré énormément de jeunes. Mais à Charleroi, par exemple, les gens étaient choqués. C’est bien. Si mon travail dérange les gens, c’est qu’ils se situent par rap-port à quelque chose ».
N.E. : Un petit mot sur la capitale européenne de la culture ?
B.R. : « J’étais en Chine lors du lancement de Lille 2004, donc je n’ai pas trop suivi. Mais je trouve que c’est une excellente idée. On parle de décentralisation, mais la culture est encore trop centrée sur Paris. On ne peut qu’encourager cette initiative qui permet d’ouvrir les gens à d’autres horizons ».
Nicolas Montard, Nord Éclair du 4 juin 2004
« Modern Loyers » est visible tous les jours sauf le lundi à l’abbaye de Groening à Courtrai jus-qu’au 15 juin. Entrée libre de 14 h à 18 h.