Le Monde : Les trésors « Transphotographiques » de Lille
On commencera la visite du 4e festival de photographie de Lille en se rendant à l’office du tourisme, logé dans le palais Rihour. Le francophile photographe américain William Klein y a réuni les « tribus » qui font bouger Lille. Des avocats, des cuisiniers, des footballeurs, des gens de la nuit, des majorettes, des policiers, des médecins, des gays et des lesbiennes, des artistes… Un portrait par tribu, dix personnalités ou anonymes par image. Avec son côté rentre-dedans, en noir et blanc et en couleurs, sur fond neutre afin de faire émerger ces « gueules lilloises », Klein a saisi des groupes, parfois raides, souvent débridés. Des légendes permettent d’identifier chaque personne.
La France est riche en festivals de photographie qui ont lieu l’été, où tout se découvre à pied – Arles, Perpignan, Toulouse. Ici, c’est le contraire : une grande métropole, dans le Nord, qui opte pour des dates printanières, une programmation éclatée. Les expositions sont à Courtrai (Belgique), Noeux les Mines, Croix, Valenciennes. Les moyens sont sans commune mesure avec ceux des gros festivals.
Comment, dans ces conditions, les « Transphotographiques » peuvent-elles faire sentir leur présence, qui plus est l’année où la ville est capitale culturelle européenne ? Outre un foisonnant festival off, la solution est de bénéficier de lieux à la taille de la ville, prestigieux ou très fréquentés. Là, le festival s’en sort plutôt bien. En dehors du palais Rihour, il y a celui des Beaux-Arts, qui s’ouvre partiellement à la photographie. On y découvre trois travaux sur des musées : ceux de Jacques Quecq d’Henripret sur celui de Lille, de Jean-Christophe Ballot au Louvre, de Patrizia Mussa au Castel Rivoli. Il y a encore l’Hospice Comtesse, en plein centre, ou l’immense hall de l’hôtel de ville. Et l’église Saint-Maurice, toujours en activité, qui accueille la réalisation fort religieuse de Sebastiao Salgado sur le travail à mains nues. Ou encore la Maison de la photographie de Lille, qui reçoit des images et une œuvre in situ de George Rousse.
Olivier Spillebout, directeur de cette Maison de la photographie, a confié la programmation de cette édition à Jean-Luc Monterosso, le directeur de la Maison européenne de la photographie, à Paris (MEP). On sent bien l’admiration que le petit frère lillois voue à son modèle parisien. Une bonne partie des expositions, sur le thème des « transformations », a été bâtie à partir des collections photographiques de la MEP. Faire le voyage à Lille permet d’en jauger l’esprit. L’exposition « Le Corps aujourd’hui, histoire d’une métamorphose », à l’Hospice Comtesse, par le nombre d’images et leur qualité, les artistes réunis, l’éventail du temps, est, elle, la plus marquante du projet. Le sujet est à la mode, dira-t-on. Mais pas souvent avec ces œuvres-là. On voit rarement la série époustouflante de portraits que Richard Avedon a réalisés de son père, juste avant de mourir d’un cancer. On sait peu que Michel Journiac, qui a développé une œuvre sur le trouble identitaire, a donné son œuvre photographique à la MEP. On tombe encore sur la série complète des quatre sœurs Brown par Nicholas Nixon : tous les ans, un portrait de famille, depuis deux décennies, pour traduire le sentiment du temps. Et puis un autoportrait en grand format de Cindy Sherman sur le thème du grotesque, la série de Valérie Belin sur Michael Jackson…
Jean-Luc Monterosso a complété son projet sur le corps en mutation par des vidéos d’artistes présentées à l’agence Graphèmes : La Messe de Journiac, un film inédit de Pierre Molinier, d’autres petites merveilles de Gilbert and Georges et Cindy Sherman… Autant de perles qui donnent du tonus aux collections de la MEP et donc à ce parcours lillois.
Michel Guerrin