A Lille, accrochages sur la Palestine
La mairie a censuré certaines photos et légendes jugées sensibles d’une exposition finalement annulée.
Ne cherchez pas l’expo Palestine, d’un monde à l’autre, aux troisièmes Transphotographiques de Lille, vous ne la trouverez pas. Elle aurait dû être visible jusqu’au 15 juin dans le grand hall de l’hôtel de ville de Lille, mais elle est retournée dans les cartons du Centre régional de la photographie de Douchy-les-Mines (CRP), l’institution qui l’a conçue. «Censurée par la mairie de Lille», s’indigne Frédéric Faure, du CRP, commissaire de l’exposition. La mairie conteste le terme mais affirme dans un communiqué que l’«exposition contenait des images légitimant des actions terroristes», et qu’elle «soutient» la décision de l’organisateur de les «retirer».
«Immontrables». Le jeune directeur des Transphotographiques, Olivier Spillebout, estime que ce n’était pas tant les images, mais les légendes qui les accompagnaient qui lui posaient problème et que, «devant les réactions de certains membres de la communauté juive de Lille», il a préféré les retirer pour ne pas «dresser les gens les uns contre les autres».
L’affaire a commencé le 12 mai, Frédéric Faure était en plein accrochage quand un membre «chargé des relations extérieures et internationales» au cabinet de Martine Aubry, maire de Lille, aurait désigné, «en une demi-heure», des photos et des textes jugés «immontrables» dans l’hôtel de ville.
Gêne. Selon Frédéric Faure, le membre du cabinet était «gêné, bien sûr, mais très efficient». Frédéric Faure liste les images et les mots qui posent problème. La liste est longue. Mais ni la mairie ni le président des Transphotographiques ne la confirment aujourd’hui. Dans un e-mail à Libération, Olivier Spillebout indique : «Le jour de l’accrochage, j’ai effectivement constaté que, dans leur ensemble, les photographies et les textes, mais surtout les légendes associées, présentés par le CRP, dont je n’avais pas eu connaissance dans le détail, étaient plus que militants, parfois violents : certains pouvaient effectivement choquer. Forcément sensible à la polémique qui s’était déjà engagée, et prenant conscience que nous étions dans un endroit très particulier et emblématique, un hôtel de ville, j’ai, lors d’une réunion avec Pierre Devin (photographe et directeur du CRP de Douchy, ndlr), proposé le déplacement de plusieurs expositions dans un endroit indépendant.»
Quelles images légitiment les actions terroristes ? Le CRP en a compté vingt-trois, dans les travaux de quatre photographes, le Britannique John Tordai, la Palestinienne Rula Halawani, la Brésilienne Fabiana Figueiredo et le Français Pierre Devin.
A la mairie de Lille, un interlocuteur qui préfère rester anonyme indique, du bout des lèvres, que l’exposition montrait des «mères de kamikazes», sans préciser lesquelles. Peut-être s’agit-il du travail de Rula Halawani, intitulé Mères de martyrs. Des photos sans légende, et sans date, mais avec un texte introductif, qui précise, entre autres : «Cette série de portraits est dédiée aux mères de martyrs. Lors de la première Intifada, la photographe a retrouvé un certain nombre de femmes qui avaient perdu un fils tué par l’armée israélienne.» Les «martyrs» en question sont des enfants lanceurs de pierres tombés sous les balles de Tsahal. L’ambiguïté réside dans le fait que, pour les Palestiniens, le terme de «martyr» désigne aussi bien un manifestant tué par l’armée israélienne qu’un terroriste qui commet un attentat-suicide. Cependant, lors de la première Intifada (1988-1993), ces derniers n’existaient pas encore. Mais le texte accompagnant les photos ne le rappelle pas.
Intégrité. Seconde image, dont la légende gêne Olivier Spillebout, le responsable des Transphotographiques : celle du centre de détention de Naplouse. Sous le cliché de Pierre Devin, cette phrase : «Naplouse, centre de détention et de torture, 1991». C’est le «et de torture» qui le choque. «L’information provient des rapports d’Amnesty International», précise Frédéric Faure. Amnesty indique dans son Rapport 92 que, lorsqu’ils étaient accusés d’avoir lancé des pierres ou des cocktails Molotov, «les détenus palestiniens étaient systématiquement torturés ou maltraités lors des interrogatoires».
Une tentative de négociation avait commencé par aboutir. Les images au contenu polémique auraient dû rejoindre d’autres clichés sur la Palestine à l’Institut d’études politiques de Lille. Les autres les clichés du XIXe siècle de l’atelier Bonfils de Beyrouth, les photos de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, ainsi que des photos et des textes d’adolescents palestiniens seraient restées à la mairie. Après avoir accepté de scinder l’expo en deux, le Centre régional de la photographie a finalement refusé. «Et crier à la censure, pour faire un coup médiatique», s’emporte Olivier Spillebout. «Non, rétorque la direction du CRP, nous avons préféré garder l’exposition intacte, au nom de la cohérence.» Et d’espérer la montrer ailleurs, dans son intégrité. Pour une nouvelle affaire ? Palestine, d’un monde à l’autre risque fort de passer ainsi d’un refus à un autre.