Catherine Balet, Remise au Point
Créer une oeuvre originale avec des copies ? C’est le défi lancé par Catherine Balet. Réussi, pour le coup. A travers Looking for the Masters in Ricardo’s Golden Shoes, la Française revisite 176 ans de l’histoire de la photographie, en reproduisant méticuleusement une centaine de clichés iconiques.
Au premier coup d’œil, l’exposition ressemble à une anthologie de la photographie somme toute “classique”. Impressionnante, d’ailleurs. On trouve à la Maison de la Photographie de Lille des clichés de Weegee, Capa, William Klein, le portrait de George Sand par Nadar ou cette pose d’Yves Saint Laurent nu, magnifiée par Jeanloup Sieff…. Mais à bien y regarder, quelque-chose cloche : le modèle est toujours le même ! En l’occurrence, un dandy de 77 ans au regard malicieux (que Denis Brogniart qualifierait sans doute d’« alerte ») et chaussé de souliers dorés (signés Dries Van Noten). Il s’agit de Ricardo Martinez Paz, un styliste argentin dont la ressemblance avec Pablo Picasso demeure troublante. En particulier dans ce remake de la célèbre image de Doisneau, représentant le génie espagnol en marinière avec des petits pains en guise de doigts (1952). « Cela fait 20 ans que nous nous connaissons, explique Catherine Balet. On a commencé ce projet lors des rencontres d’Arles en 2013, ce fut notre premier détournement ». Ce qui n’était au départ qu’un simple jeu est devenu une série de 120 pièces. Il aura fallu près de trois ans pour l’achever. Il faut dire que ces reproductions ont été façonnées avec un souci du détail confondant.
Esprit
« L’idée était de restituer au plus près de l’esprit de l’original. Mes créations sont parfois presque identiques, d’autres fois moins. Mais je me suis rendue compte que chaque élément contribuait à la force de ces compositions ». Telle cette copie du Petit parisien de Willy Ronis (1952), montrant un garçonnet courant sur le trottoir avec une baguette sous le bras. « On en a fait cuire une mesurant 1,80 mètre pour respecter les proportions, et j’ai pris la photo debout sur un escabeau afin que Ricardo paraisse plus petit ». Il fallait aussi retrouver les lieux exacts où avaient été immortalisés ces chefs-d’oeuvre, essentiellement à Paris. « Pour cela j’ai utilisé Google Street View ». S’agissait-il de réemployer les techniques des maîtres ? « Non, je me suis servie du même appareil pour chaque prise, ensuite il y a eu beaucoup de postproduction. Pour moi Photoshop est un outil fantastique, me permettant de peindre avec la lumière, de retrouver le grain de la photo, la douceur de certains textiles… ».
Actors Studio
Pour autant, ce travail s’apparente parfois à celui d’un plasticien. Par exemple pour exécuter cette réplique du premier autoportrait de l’histoire du 8e art, signé en 1839 par Robert Cornelius. « Ce fut un boulot énorme. Il y a eu une première retouche sur Photoshop, ensuite je l’ai imprimée sur du métal, grattée, peinte… ». Saluons enfin les qualités d’acteur de Ricardo, qui teinte ce parcours d’humour, voire de tristesse, comme dans cette imitation du Young Man in Curlers at Home… de Diane Arbus (1966), dans laquelle il traduit toute la mélancolie du modèle original. « En la réalisant, on était tous les deux dépressifs ! Elle me bouleverse toujours… Ricardo est dans la performance, se glissait à chaque fois dans la peau des personnages ». Quel objectif poursuit Catherine Balet via cet exercice de style ? « C’est un hommage mais aussi une réflexion sur l’essence même de la photographie, à l’heure où elle circule comme jamais. Pourquoi un cliché traverse-t-il le temps ? C’est une question mystérieuse… ». Et nécessaire, à une époque où les images n’ont jamais été aussi nombreuses, mais si peu regardées.