ISSI Magazine : Olivier Spillebout, Vingt ans à la tête de la Maison de la Photographie
Directeur de la Maison de la Photographie depuis vingt ans, Olivier Spillebout revient pour nous sur les moments forts de sa carrière. De Peter Lindbergh à Willy Ronis, ce passionné a contribué à l’enrichissement du patrimoine culturel de la métropole lilloise.
Bonjour Olivier. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis né à Tourcoing, et j’ai grandi dans le Nord. Éducateur sportif de formation, j’ai dirigé plusieurs structures sportives sur la Métropole Lilloise, tout en confirmant en parallèle une passion pour la photographie, qui est née très tôt. J’ai des souvenirs assez éloignés maintenant, d’avoir fréquenté dès 15 ans le club photo d’une MJC, puis d’avoir affiné ma pratique personnelle pendant plusieurs années en visitant expositions et festivals.
Ensuite, dès 1997, j’ai créé puis animé une association lilloise dédiée à la photo. Je suis aujourd’hui Directeur de la Maison de la Photographie de Lille, qui fête ses 20 ans cette année, et du Festival Transphotographiques, qui a largement contribué à sa renommée depuis 2001.
Comment est née la Maison de la Photographie ? Comment êtes-vous devenu l’initiateur de ce lieu incontournable ?
C’était en 1997, j’étais voisin à Lille Fives une vieille usine abandonnée, que j’ai trouvée idéale pour accueillir un projet culturel. A cette époque, le bâtiment était en friche, on y trouvait toutes les traces des activités passées : de la ferraille et des bandes de papier passé à la déchiqueteuse. J’y ai fait les travaux moi-même au fur et à mesure de mes possibilités. C’est le début de la Société de Photographie “Atelier de la Photo” qui accueillait ses stages et réunions dans le bâtiment encore partiellement rénové.
En 1999, conscient qu’un grand événement photographique était inexistant mais possible au nord de Paris, je me suis appuyé sur mon expérience de l’évènementiel pour concevoir et proposer aux collectivités et aux sponsors le projet des Transphotographiques.
J’ai donc créé en 2001 le festival des Transphotographiques à Lille et sur la métropole lilloise, événement qui en quelques années s’est solidement installé dans le paysage culturel international. J’en dirige chaque année la programmation, parfois en y associant des commissaires invités, et en adoptant une direction artistique originale tournée vers la jeune création photographique Européenne et vers les échanges avec Galeries et festivals internationaux.
En 2003, l’usine est devenue officiellement la Maison de la Photographie, et y a accueilli sa première grande exposition dans le cadre des Couleurs du Temps, uniquement sur une partie du 1er étage, seul espace finalisé et chauffé, à l’époque, le RdC étant encore pour partie qu’un immense préau ouvert.
Ensuite, j’ai travaillé chaque année, en parallèle du développement des Transphotographiques, à proposer à la Maison de la Photographie des artistes marquants, de la jeune création, pour qu’elle devienne le lieu de référence régional, national et international qu’elle est aujourd’hui.
Quels sont vos plus beaux souvenirs à la Maison de la Photographie ?
J’en ai plein !! Nous avons refait un historique il n’y a pas longtemps, car nous fêtons en 2017 les 20 ans du projet. La Maison de la Photographie a été intimement liée depuis des années à la renommée des Transphotographiques, et il est difficile de la dissocier de ce festival qui attire les plus grands artistes à Lille.
Dès 2001, j’ai les souvenirs d’une formidable aventure, avec Willy Ronis pour une exposition marquante au Palais Rihour ; le hasard a fait que la même année il avait les honneurs d’un livre rétrospective et d’une édition spéciale de Reporters Sans Frontières qui lui était consacrée.
En 2003 notre première collaboration avec Peter Lindbergh s’est traduite par une grande réussite et une grande fierté : celle d’avoir pour la première fois fait entrer ses oeuvres au Palais des Beaux Arts de Lille, qui n’avait jamais montré de photographie contemporaine auparavant. Cette même année, autre souvenir, celui de la confiance que m’avait accordée Mgr Defois, Archevêque de Lille, en nous octroyant le prêt de la Crypte de la Cathédrale de Treille, lieu majestueux qui n’avait jamais été ouvert au public, et où nous avons présenté la Collection Harry Lunn, avec des photographies entre autres de Mapplethorpe et Joel Peter Witkin. Avec du recul c’était une performance exceptionnelle, qui a pu surprendre quelques paroissiens, mais a permis à l’époque de rendre possible l’émergence du Musée d’Art Sacré.
Je retiens aussi bien sûr l’année 2004, avec la grande exposition de l’artiste international Georges Rousse, accompagnée une création-installation éphémère de sa part, dont il reste quelques traces dans l’escalier d’accès au 1er étage de la Maison Photo.
Cette même année le grand photographe américain William Klein a passé un mois en notre compagnie à Lille, pour photographier les “lillois”.
Il y a eu aussi en 2008 une très belle et émouvante rencontre avec Sabine Weiss, un monument de la Photographie française, pour une exposition que nous avions organisée hors les murs au Colysée de Lambersart.
Dans le cadre des Transphotos 2008, la venue pour la première fois à Lille d’une icône incontestée de la mode nous a tous marqués : Karl Lagerfeld, avec son exposition – installation inédite.
C’est aussi une de mes grandes fiertés dans ce projet : d’avoir réussi, grâce à notre initiative, à notre ténacité et notre professionnalisme, à faire se déplacer sur notre territoire les plus grands artistes, photographes ou personnalités. Comme justement Karl Lagerfeld qui n’avait jamais mis un pied à Lille.
C’est dans cet esprit également qu’en 2012, avec Christophe Girard adjoint à la culture de la Ville de Paris à l’époque, et Jean Luc Monterosso, directeur de la Maison Européenne de la Photographie à Paris, a été signé un partenariat important pour la Maison de la Photographie : cette alliance a permis le grand retour à Lille de William Klein avec son travail sur Rome.
Cette année a été marquante, car en décembre, une immense foule se presse au vernissage de Charlotte Rampling, accompagné de Jean Michel Jarre, jamais vu autant de monde à Fives !
En septembre 2013, 10 ans après l’avoir accueilli au Palais des Beaux Arts de Lille, j’ai eu grand plaisir à retrouver le charmant Peter Lindbergh, grand Photographe de mode avec son exposition “Berlin”, qui inaugurait les locaux agrandis de la Maison Photo.
Année royale car c’est aussi le souvenir d’avoir présenté sur nos murs les photographies d’Helmut Newton.
En 2014, les moments forts se succèdent avec la très belle exposition “Paris by” du photographe anglais Martin Parr, en partenariat avec la MEP, avec la venue exceptionnelle du grand réalisateur Costa Gavras pour ses clichés consacrés aux tournages dans le Nord
BIen sûr, en parallèle de ces souvenirs de personnalités plus marquantes, j’ai plein de souvenirs sur tous les travaux d’artistes qui interpellent tout autant le public fidèle de la Maison de la Photographie : des photographes de toutes nationalités, en monographie, mais aussi en expositions collectives : le Prix HSBC pour la Photographie, que nous avons présenté plusieurs fois, ou encore la Bourse du Talent en partenariat avec la Bibliothèque Nationale de France et Photographie.com,
Et puis je ne peux pas oublier “l’effet” Julian Lennon, début 2016 : ce photographe engagé nous a marqués par sa sensibilité, son accessibilité et sa modestie.
Notre prochain numéro propose un nouveau regard sur l’art, la mode et la photographie. Quel est votre avis sur le sujet ?
La mode et la photographie sont deux arts qui se parlent, dialoguent, se répondent en permanence, et qui partagent un point commun essentiel : ils reposent sur l’image.
C’est d’ailleurs une relation que j’avais choisi d’explorer en 2008 dans le cadre du festival Transphotographiques sur le thème “Mode et Photographie” ; il n’était pas consacré exclusivement à la photographie de mode mais justement explorait l’ensemble des relations entre ces deux dimensions.
A la Maison de la Photographie, nous avons souvent fait la part belle à la mode, non seulement avec des expositions comme celles évoquées plus haut de Lindbergh, Newton ou Lagerfeld, mais aussi avec des projets engagés comme celui de Joseph Chiaramonte en 2010, et Maurice Renoma en 2014, ou encore avec des événements comme récemment celui de Marithé + François Girbaud.
Ces derniers temps, nous avons vu émerger à Lille de nouveaux magazines, je pense bien sûr à Issi, comme à Apologie, qui font le lien entre les arts, le design, la mode et la photographie. C’est une très bonne chose et ce sont de belles initiatives à poursuivre ! Longue vie à eux !
Que pouvons-nous vous souhaiter pour les 10 prochaines années à la Maison de la Photographie ?
Avant de parler du futur, permettez-moi un bref aparté et un bilan sur la place de la photographie en métropole Lilloise et en région, car c’est pour moi un bilan mitigé.
Cela fait 20 ans que notre action contribue au développement sur le territoire de la culture en général, et de la photographie en particulier ; malgré cela, la Maison de la Photographie reste une structure fragile, qui éprouve de grandes difficultés à continuer à exister et à préserver son ADN : soutien à la création, à la production et à la diffusion des artistes, capacité d’accueillir le meilleur de la Photographie Internationale, et de promouvoir, au delà de nos frontières la création régionale.
Les collectivités, ces dernières années, ont choisi de privilégier leurs projets, parfois pharaoniques, en se désintéressant de projets indépendants comme le nôtre et je ne trouve pas cela légitime.
Quel est le sens, d’un accompagnement pendant de nombreuses années, de la construction d’outils comme peuvent l’être la Maison de la Photographie ou les Transphotographiques, pour ensuite laisser tout ce travail accompli, sans suite.
Il n’est pas légitime, alors qu’en 2016, nous présentions la grande exposition “CAPA in Color”, montrée auparavant à New York, Budapest et Madrid, que nous ne soyons soutenus par aucune collectivité pour la présentation à Lille, au Tri Postal. Je précise que l’illustre Robert Capa n’avait jamais été exposé ni à Lille ni en région.
Il n’est pas légitime, que notre structure soit obligée à ce point de modifier son modèle économique en développant une activité événementielle, pour survivre, mais en dégradant l’offre et la mission qui doit être celle d’un centre d’Art dédié à la Photographie.
Les Projets pour ces 10 prochaines années, il y en a plein, à commencer par un véritable espace, muséal, en adéquation avec l’ambition que notre territoire devrait avoir pour porter la Photographie.
Notre région doit se doter d’un lieu beaucoup plus grand que celui, historique, que nous exploitons actuellement. un lieu probablement en métropole Lilloise, ou même ailleurs dans les Hauts de France, et d’au moins 2 à 3000m2 au minimum.
Nous devons être capables, comme par le passé, d’accueillir de grandes expositions internationales sur le territoire. Nous devons pouvoir emmener nos artistes régionaux, pour les promouvoir, là où aussi se passe la Photographie, je pense à Paris Photo, je pense aux Rencontres d’Arles, ou dans les grandes rencontres internationales, dans le même esprit qu’à Avignon, quand le Conseil Régional emmène et présente les compagnies théâtrales régionales.
J’aimerais donc que la Maison de la Photographie devienne autant reconnue et soutenue au niveau local qu’elle l’est au niveau international.
De grandes institutions, comme le Jeu de Paume, La Maison Européenne de la Photographie, ou encore l’International Center of Photography de New York nous font confiance, alors aussi ici au niveau local, je souhaite que les collectivités, la métropole, le département, la région, l’Etat, sans esprit partisan, sans lien avec les changements politiques, viennent consolider notre structure pour qu’elle puisse développer des projets et accompagner encore de nombreuses années la création artistique !
Thibault Roy & Louise Mine (Photo Pascal Ito)
ISSI MAGAZINE janvier 2016
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