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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

Télérama : France(S) Territoire Liquide

Télérama : France(S) Territoire Liquide

Depuis quatre ans, un collectif de photographes questionne les notions d’espaces, de paysages… Des travaux d’une richesse inouïe, visibles à Lille.

Plus de 600 tirages réalisés par 43 photographes poussés par l’envie de raconter, de définir, de donner à voir le territoire français à l’aube du XXIe siècle. Il y a dans ce projet lancé en 2010 par Jérôme Brézillon, Cédric Delsaux, Frédéric Delangle et Patrick Messina quelque chose de vertigineux. D’une richesse inouïe, l’ensemble des travaux présenté au Tripostal à Lille offre un regard kaléidoscopique passionnant sur la France. Il met également en orbite une nouvelle génération de photographes. Et dévoile une multitude de propositions formelles. Car aux frontières mouvantes — liquides, selon le titre de l’exposition — du paysage répondent celles de la photographie. Ainsi, lisière entre art et documentaire, réalité et fiction, passé et présent se trouve, dans ces images, tout aussi ondoyante.

A chacun son territoire, donc. Intime pour les uns, comme Geoffroy de Boismenu, qui s’en est allé demander à des anonymes de lui indiquer un endroit auquel ils sont liés par un souvenir. Ses photos, banales, présentées recto verso, tiennent à un fil. Celui du récit qui les accompagne. Albin Millot, lui, s’est colleté avec les frontières géographiques du pays, effacées du paysage depuis les accords de Schengen. On les retrouve dans ses vues nocturnes, veloutées, telle une ligne fantomatique incongrue dont on questionne soudain la logique, la nécessité. Mais ce qui frappe le plus dans cette exposition, c’est le foisonnement des écritures photographiques. Il ne faut, à Julien Chapsal, pas plus d’une image Photo issue de tirée en grand format et posée au sol, figurant un pantalon usé, abandonné dans l’herbe, pour dire la vie des migrants coincés à Calais. Frédéric Delangle a pour sa part envoyé en Inde ses paysages urbains parisiens, en noir et blanc, neutres, où des peintres y ont rajouté de la couleur et des affiches publicitaires. Co qui, en ces temps de mondialisation, se révèle moins dépaysant qu’on ne pourrait le croire. Et puis il y a le travail de Cédric Delsaux. Comme les cinéastes Nicole Garcia et Laurent Cantet et l’écrivain Emmanuel Carrère, lui aussi a voulu se confronter au personnage de Jean-Claude Romand. Il s’est donc rendu sur les lieux où celui-ci passait ses journées avant de rentrer chez lui en faisant croire aux siens qu’il était médecin pour l’OMS à Genève. Branchages inextricablement enchevêtrés, routes nimbées de brouillard, paysages neigeux… En délimitant ce territoire du mensonge, le photographe semble nous plonger au coeur de l’esprit embrouillé de Romand, renouvelant ainsi le regard qu’on pouvait porter sur cette histoire.

Yasmine Youssi pour Télérama juin 2014