Mode et photographie : l’élégance à nu
Les Transphotographiques en Métropole
Depuis la mi-mai, le public (un visiteur sur deux a moins de 35 ans) a investi les sites de Lille, Roubaix et Lambersart, 20 lieux regroupant 34 expositions – dont 12 inédites – et permettant de confirmer ou de découvrir le talent d’une centaine d’artistes. Le record de fréquentation de l’édition 2007 (100 000 visiteurs) qui bénéficiait, au moment du 60ème anniversaire du Festival de Cannes, d’un thème porteur « Photographie et cinéma» est en passe d’être largement battu : à 15 jours de la clôture, plus de 70 000 visiteurs ont été séduits par le thème à l’honneur cette année « Mode et photographie », dans une région où l’industrie textile fut jadis florissante et qui est actuellement une pépinière de jeunes stylistes (prêt-à-porter haut de gamme) courtisés par les vitrines parisiennes. Créateurs et photographes de mode : un double hommage aux corps féminin et masculin. Avec ce dialogue tissé entre la photo, le corps, la couleur des étoffes, les codes vestimentaires, les nouveautés, le cérémonial et le quotidien, l’édition 2008 rend la beauté et le luxe accessibles à tous ceux qui n’ont guère l’occasion de l’approcher.
Écrire avec la lumière
Première offrande : une sélection de 64 photos inédites de Jeanloup Sieff prises entre 1960 et 2000 est projetée au Tri Postal et les 4 exposées montrent comment le reporter-portraitiste et paysagiste « habille» ses personnages dans un noir profond que magnifie une lumière violente, tout en jouant sur la complémentarité ou l’opposition de la peau et du tissu. Sabine Pigalle travaille la relation de gémellité de l’humain et de l’animal par le biais de la texture du poil et du cheveu, souple, épais, vaporeux ou crépu. Sa dimension de « peintre» maniériste se déploie dans l’hommage qu’elle rend à la Renaissance italienne en recomposant des tableaux célèbres comme celui de Vmci « La dame à l’hermine ». Son triptyque «3 fois 3 grâces », inspiré de Raphaël, met en scène les 9 Muses avec un jeu sur le trio, tiers exclu ou inclus, le lisse et l’estompé et un rendu de peau qui réfléchit ou absorbe la lumière. Tandis que Joel Peter Witkin sublime les marques Vuitton, Chanel, Dior et autres par des références-révérences à Magritte, Picasso et Matisse, Eugenio Recuenco revisite la peinture espagnole de Goya à Zurbaran tout en l’ébranlant par une modernité qui englobe Bunuel et Almodovar : dans une Espagne confite en religion dans un cloître familial, il exhibe des états du désir, du sexe, de la virginité et du péché de chair.
Un regard innocent ?
Avec « Two », TerezaVlcklova s’extraie des clichés des portraits de famille par une précision dans le détail épuré, concentré. Ses fillettes jumelles, vêtues à l’identique, semblent, telles des zombies, surgir ou tomber dans le décor.
Cette dramaturgie entre chien et loup qui fait fermenter un malaise s’installe aussi chez Ewa Lowzyl et ses créatures aux confins de la réalité et du cauchemar comme ce garçonnet à la peau de poupée de celluloïd et au bras articulé retenu par un boulon ou cette femme dotée d’un lacet rouge de capuche qui sort de la peau par des oeillets placés à la base du cou. Nicole Tran BaVang interroge le corps et son enveloppe : corps exhibé, idéalisé, aseptisé, en danger de déshumanisation ? Que révèle la nudité ou le vêtement ? Le penchant au voyeurisme propre au spectateur prend quelques secousses électriques. Alain Delorme, lauréat du Prix Arcimboldo 2007, se situe à la frontière de cette mouvance. Dans une atmosphère de bonbonnière, des fillettes sont assises devant un gâteau d’anniversaire, on aperçoit des mains adultes qui tiennent bras et épaules : l’emprise parentale montre ses dents à la lisière de la tendresse protectrice.
Karl Lagerfeld : l’événement ?
Connu du public comme une figure de proue de la mode, Karl Lagerfeld expose son journal intime, 300 photos de son modèle Brad Kroenig. Des séquences emportent l’adhésion : « Falling Asleep » et « Waking up », sortes d’arrêts sur images extraites d’un film, ou l’aimantation de deux photos de cadrage et luminosité semblables (visage sérieux puis souriant). Mais pour le « reste », la profusion, compulsion de répétition, aboutit au trop-plein. Emotion et profondeur sont absentes. Le styliste s’est-il contenté d’exploiter sa renommée ? C’est ce que révèle la déclinaison de cet alter ego en intimité. Le miroir aux alouettes en sort quelque peu terni. Au total, en dépit de quelques déperditions et rares fausses notes dont cette occupation abusive de l’espace, les Transphotographiques offrent des moments d’émerveillement. Qu’elles continuent de creuser leur sillon pour que les pouvoirs « d’écriture et de lecture» de la photographie s’en trouvent accrus et, sans cesse relancée, rajeunie et fortifiée, toute la richesse acquise.