De Lille en Arles, un été riche en festival
Aux Transphotographiques de Lille, tout comme aux Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, la création photographique s’est montrée plus riche que jamais, offrant aux yeux du public une large palette de pratiques et de techniques. Et la photo numérique dans tout ça ?
Deux des principaux festivals de photographie hexagonaux, loin de tomber dans le piège d’une redondance stérile, ont cet été exploré, chacun à leur manière, une des deux grandes facettes de la création photographique contemporaine : à Lille, la photo plasticienne à forte teneur picturale et fantasmagorique et, en Arles, l’image documentaire, brute et riche de détails puisés dans notre époque. Deux visions pas si antagonistes que cela, si l’on y regarde de près, mais au sein des-quelles les techniques numériques n’occupent pas la même place.
Fantasmagories Pour sa quatrième édition, le jeune festival des Transphotographiques a mobilisé la métropole lilloise autour d’un thème faisant la part belle à la photo numérique : la transformation. Transformation des corps, des lieux, des cultures, mais aussi transformation du médium photographique lui-même, voici ce qui ressort des nombreuses expositions présentées du 15 mai au 15 juin dans la ville de Lille et sa région, au cours d’un festival qui a pris une toute nouvelle ampleur. Inscrite dans le cadre de Lille 2004, et bénéficiant de la direction artistique de Jean-Luc Monterosso, directeur de la MEP (Maison Européenne de la Photo à Paris), la manifestation comprenait également, et pour la première fois, un foisonnant festival « off », riche de quarante expositions. Mais c’est au sein de la programmation officielle que la photographie numérique occupait la place la plus pertinente : les étonnantes images sur les transformations du corps, accrochées dans le cadre magnifique de l’Hospice Comtesse, témoignaient de cette capacité de la photographie à dépasser le simple enregistrement du réel pour créer de toutes pièces d’inquiétantes chimères. Parmi des
travaux argentiques, au caractère documentaire affirmé malgré leur splendeur plastique, comme ceux de Richard Avedon ou Valérie Belin, surgissaient les oeuvres numériques troublantes de Lawick & Müller ou Aziz & Cucher. Corps trop parfaits pour être vrais, répétés en série tels des clones, visages privés d’orifices, incapables de communiquer, autant de questionnements sur le statut de l’image et, au delà, sur notre futur commun. Le spectateur, jusqu’ici confronté à l’image photographique perçue comme témoignage d’une réalité, se retrouve désormais pro-jeté au fond de l’inconscient de l’artiste. Un tel effet ne peut être obtenu que grâce à des manipulations habiles, mais totalement invisibles, souvent d’après des clichés analogiques. La photographie, un outil au service du virtuel ?
Témoignages Ce n’est pas vraiment la vision défendue en Arles. Pas étonnant, quand on connaît l’invité de marque qui a mis sur pied une grande partie du programme des 35e rencontres d’Arles, du 8 au 11 juillet : il s’agit du photographe anglais Martin Parr, membre éminent de l’agence Magnum. Connu pour ses clichés documentaires aux couleurs vives, il jette un regard sans concession sur ses contemporains dans leur normalité et leurs étranges coutumes : fast-food, consommation de masse, standardisation, le tout non-dénué d’une certaine joie de vivre. Mais le commissaire des Rencontres est aussi un collectionneur dans l’âme, et l’on a pu admirer quelques pièces étonnantes de son musée personnel, tels ces plateaux illustrés de photographies ou ces montres à l’effigie de Saddam Hussein. Vous l’aurez compris, pas de hiérarchie ici entre anonymes et artistes de renom, ce qui importe, c’est davantage le contenu de l’image et l’idée qui se cache derrière, que la perfection de sa forme. C’est ce principe qui sous-tend la sélection proposée par Martin Parr, comprenant beau-coup d’images qu’il qualifie lui-même de « vernaculaires » : il s’agit de photographies amateurs spontanées, sans prétention artistique, mais ayant pris une valeur certaine avec le temps, comme ces témoignages anonymes de la bourgeoisie palestinienne des années 50, ou encore ces albums de photos de famille du Néerlandais Leo Polhuis et, surtout, ces terrifiantes images du ghetto de Varsovie prises en cachette par le Juif polonais Henryk Ross entre 1940 et 1944. Tout un pan ignoré, mais pourtant essentiel de la photo, dont on peut penser que les millions d’images numériques prises à notre époque feront un jour partie. Mais, pour l’instant, guère de photographie digitale à l’horizon parmi ces expositions, y compris celles d’artistes actuels : la photographie analogique satisfait la plupart des photographes présents. Ainsi, des terrains de foot du Néerlandais Hans Van Der Meer, où évoluent de petits clubs perdus, dérisoires malgré leurs grands formats, ou les entrepôts et totems publicitaires de l’Allemand Frank Breuer, devenus de monumentales sculptures païennes. Ce dernier nous a tout de même confié utiliser la prise de vue numérique pour ses repérages sur le terrain. D’autres artistes de cette veine, baptisée « conceptuelle documentaire » par Martin Parr, n’hésitent cependant pas à employer directement des outils numériques, même si leurs prises de vues restent analogiques, créant ainsi des ponts passionnants entre les pratiques : l’Américain Paul Shambroom étonne avec ses grandes fresques représentant des conseils d’élus locaux de l’Amérique profonde.
Démarches numériques variées Ces acteurs modestes de la démocratie sont ainsi magnifiés grâce à un traitement numérique subtil : accentuation sélective les mettant en valeur par rapport au décor,
retouche soignée des couleurs et tirage jet d’encre sur toile vernie, tout cela contribue à un rendu très pictural, même si le propos reste complètement documentaire. L’artiste avoue parfois intégrer plu-sieurs négatifs différents pour améliorer la lisibilité d’ensemble de ses images. On est loin de la réalité fantasmée associée à la retouche numérique ! Et que dire des splendides marines du Japonais Yazu Suzuka, simples sténopés, forme de photographie la plus primitive, ensuite numérisés et tirés en jet d’encre pigmentaire pour leur offrir ce rendu unique ? Malgré une présence encore faible au sein des festivals, le numérique se rencontre donc parfois là où on ne l’attend pas : c’est sans aucun doute toute la richesse d’un éventail de technologies qui ne se résume pas à la prise de vue. Alors, démiurges recréant un uni-vers sur une palette graphique, ou amateurs fixant le réel, toutes les démarches restent à inventer.
J. B. / PHOTO & VIDEO NUMÉRIQUE Septembre 2004