L’institut pour la photographie réduit son format et repousse sa naissance au printemps 2025
Voici quelques semaines, DailyNord constatait le retard de calendrier du grand équipement culturel voulu par le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand avec l’appui de Martine Aubry (notre article). Une gestation douloureuse qui mobilise l’argent public et qui interpelle. Ce n’est pas tout.
Selon la commission d’appel d’offres tenue le 12 septembre dernier et qui a présenté un important avenant au marché relatif aux travaux de restructuration du site et de construction de l’institut, ce dernier sera amputé : « ces simulations conduisent à revoir à la baisse le coup prévisionnel des travaux ». Motif : contenir l’augmentation des matériaux, continue depuis plusieurs années et surtout depuis le conflit ukrainien. Selon nos informations, le dépassement atteint déjà les 800 000 euros et une estimation de révision à la hausse pendant les travaux – non commencés – atteint les 8 %, sans compter les 10 % d’aléas habituels dans ce genre de chantier – des chiffres confirmés par un économiste de la construction. De quoi inciter à un ajustement du projet que l’on surnomme déjà l’ »Arlésienne » dans les milieux culturels, en référence aux rencontres d’Arles qui ont inspiré l’idée en 2018 avec la maire de Lille et le président des Hauts-de-France en tandem. Le 16 mars, un premier programme d’économies n’a pas donné satisfaction et l’on s’oriente vers une solution plus simple .En abandonnant la tranche optionnelle, le projet réduit son emprise et tente de contenir les débords financiers. 25 millions d’euros ont déjà été inscrits dans les comptes de la région sur plusieurs exercices. Dont 16,23 millions d’euros au total pour les travaux. Et on ne lésine pas sur les économies : tuiles plutôt qu’ardoises, brique de parement plutôt que brique pleine, dalles alvéolaires, réduction des galeries contemporaines,…
Un sacré numéro
Prévu sur plusieurs bâtiments situés au coeur du Vieux-Lille dans un périmètre protégé par les Monuments historiques et les Bâtiments de France – 170 hectares sauvegardés dans l’esprit de la loi Malraux de 1962* – sur plusieurs rues mêlant maison de maitres et hôtels particuliers, le futur institut donne la priorité à sa tranche ferme (recherche, conservation, diffusion, pédagogie, édition). Selon nos informations, la CAO propose une solution décisive selon les termes de la maitrise d’oeuvre : « …il est apparu préférable, après concertation avec les équipes de l’institut, d’abandonner la réalisation de la tranche optionnelle (7 rue de Thionville) et de privilégier la préservation des fonctionnalités des bâtiments 9 et 11 et la construction des espaces de conservation et d’exposition ».
Comme évoqué dans notre précédente livraison, un problème administratif et d’urbanisme est venu corser les difficultés. En CAO, les participants ont découvert que « Cet abandon de la tranche optionnelle est également lié à la position de la MEL, propriétaire actuel des bâtiments sis au 7 rue de Thionville et qui n’a jamais fait évoluer sa position quant à la possibilité de céder le bâtiment à titre gratuit », comme c’est le cas pour les numéros 9 et 11 (NDLR : cédé pour l’euro symbolique par la MEL à la région)…Il est vrai qu’au prix du mètre carré dans ce secteur « bobo » du Vieux Lille, le foncier et bâti total de l’institut développé sur 3600 mètres carrés, s’étagerait sur une fourchette entre 10 et 18 millions d’euros -. Mais qui surenchérit automatiquement la valorisation du numéro 7. Insupportable pour l’enveloppe prévue par le conseil régional en cas de vente au prix du marché …Les deux collectivités peuvent-elles trouver un terrain d’entente ?
Au début 2021, DailyNord avait informé ses lecteurs de la bisbille qui avait empoisonné les relations entre la Métropole européenne de Lille et le conseil départemental du Nord au sujet d’un petit « délaissé » de 1250 mètres carrés au centre de Lille finalement adjugé pour…3,250 000 euros à cette dernière qui ne pouvait en faire l’économie pour son nouveau siège en cours d’achèvement, ce qui avait attiré les foudres de Jean-René Lecerf, le patron du département (notre enquête). La loi du marché est impitoyable quant elle oppose deux collectivités. Pas question d’offrir une telle aubaine à la MEL. On préfère délaisser le numéro 7…A charge pour le cabinet d’architectes parisien Berger & Berger de revoir sa copie sans bousculer l’épure budgétaire si difficile à maitriser. Mais c’est aussi l’échéance qui est chamboulée.
Calendes grecques
En CAO de septembre, un nouveau calendrier a été proposé et le démarrage des travaux est repoussé à octobre 2023 pour une livraison au printemps 2025, soit quasiment 7 ans après la révélation de…juillet 2018 entre le président de région et la maire de Lille, l’idée avait été soigneusement gardée. Ce que DailyNord avait qualifié d »‘étrange alliance » ICI et (notre enquête). Depuis son accession à la tête des Hauts-de-France en 2015, Xavier Bertrand rêve de séduire la planète culture pour nourrir une ambition présidentielle et jouer sa partition décentralisation. En sanctuarisant d’importants budgets culturels – 119 millions en 2020), il veut s’attacher un électorat réputé de gauche. Et mise sur des festivals comme Lille 3000, la chasse gardée de Martine Aubry, Séries Mania, pour les séries télé, ou ce fameux temple dédié au huitième art (notre article), hobby de l’ancien ministre qui en fait un projet personnel. En tout cas, le sujet est sensible au sommet du conseil régional.
Le débat resurgit au détriment d’une vraie dynamique des acteurs locaux qui ahanent depuis longtemps pour se faire entendre ou tout simplement survivre, comme la Maison de la Photographie, rayée de la carte culturelle après 25 ans de rayonnement bien au-delà de l’Hexagone, et vent debout contre l’ennemi Institut. Les adversaires échangent coup pour coup en conseil municipal de Lille et dans les prétoires (nos informations ICI et ICI). Les centaines d’acteurs associatifs réunis dans le collectif régional des arts et de la culture le savent bien qui tirent les sonnettes des grands élus. « La culture, ce n’est pas Lille et le désert autour », prophétisait pourtant celui qui a les yeux de Chimène pour la culture populaire. Mais si le bébé est beau, il ne manquera pas de pères ni de mères à côté de ses deux géniteurs…Surtout après une gestation aussi longue. L’Arlésienne se fait attendre. Jusqu’aux calendes grecques ?
* 58 hectares en 1967 puis 170 hectares en 2016 sont désormais protégés sous l’appellation site patrimonial remarquable grâce à l’action de l’association Renaissance du Lille Ancien,