Quand on a un rêve présidentiel comme Xavier Bertrand, ce n’est pas le moment de se mettre à dos le monde culturel
Depuis son élection à la tête des Hauts-de-France en 2015, le président de région, Xavier Bertrand, a surpris en matière de politique culturelle, relate dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Le visible et le prestigieux
Le déclic ? « Il a changé, il s’est mis à lire », s’amusent des observateurs. Beaucoup citent les circonstances de son élection
en 2015, quand la gauche se retire à son profit pour faire barrage au Front national de l’époque. Le renvoi d’ascenseur sera notamment culturel.
Sauf qu’il va surprendre une deuxième fois. On l’imaginait mettre le paquet sur une culture de proximité, essaimant dans une région peu riche, coupée en deux, entre un Nord bien pourvu en lieux de création et une Picardie qui l’est peu. Il a le verbe « décentraliser » à la bouche, tweete en 2017 qu’en matière de culture, « ça ne doit pas être Lille et le désert autour », promet que chaque habitant des Hauts-de-France sera invité une fois par an à assister gratuitement à un événement.
Il a fait le contraire. Xavier Bertrand privilégie le visible et le prestigieux. A la suite d’un appel d’offres de l’Etat, remporté en 2017, il attire à Lille le festival Séries Mania, spécialisé dans les séries télévisées. Son rôle est central dans cette bataille menée contre les villes de Paris et de Cannes, entraînant avec lui Martine Aubry. C’est même un coup de maître, car Séries Mania a trois atouts – rarement réunis : une résonance mondiale patinée d’un climat arty et glamour ; un art en pleine ascension confirmé par le gros succès de la manifestation ; un côté populaire, les séries permettant de toucher toutes les populations et d’essaimer sur son territoire.
Il crée, toujours en 2017, un lieu plus compliqué. Soit un Institut pour la photographie logé dans une ancienne école du Vieux-Lille, avec pour mission d’agir tous azimuts sur l’image : expositions, conservation de fonds de négatifs, aide aux chercheurs, éducation des publics, bibliothèque… Le lieu fermera à la fin d’année pour travaux, avec réouverture en 2023. Il a le statut d’association, qui a l’avantage de la souplesse mais peut se révéler problématique dans la durée : ce trublion affranchi des normes régissant les musées de l’Etat ou des collectivités locales laisse perplexe nombre d’observateurs locaux par son ambition nationale – est-ce son rôle ? – et dont l’emprise locale reste à trouver.
Les acteurs culturels locaux agacés
La région donne 3,7 millions d’euros par an à Séries Mania, 16 millions pour les travaux de l’Institut pour la photographie, 2 millions pour son fonctionnement annuel. Elle soutient aussi des labels-phares comme le festival Feux d’hiver à Calais, et l’installation dans la même ville du metteur en scène en vogue Julien Gosselin et de sa troupe.
Cette politique de prestige agace un peu les acteurs culturels locaux. Xavier Bertrand répond que la région a aidé des centaines de projets ici ou là. Mais le Collectif régional arts et culture (CRAC), regroupant 400 structures de toutes disciplines, constate que leurs subventions, sans être fragilisées, n’ont pas augmenté non plus. Une dynamique territoriale reste à faire, que ces structures de l’ombre, très vivaces aussi, pourraient porter afin de corriger les inégalités entre le nord et le sud de la région.
Séries Mania ne pouvait avoir lieu ailleurs qu’à Lille mais l’Institut pour la photographie y est aussi, une ville déjà bien pourvue en équipements culturels. Par ailleurs, ces choix comme d’autres s’inscrivent dans une politique de l’offre, celle du monde d’avant, quand l’époque est plutôt à se soucier de la demande des publics. Non plus construire, ajouter des « objets » nouveaux, mais solidifier les lieux et réseaux existants. Ce n’est pas l’option de Xavier Bertrand, et c’est logique puisqu’elle fait consensus à gauche et à droite.
Ce consensus, Xavier Bertrand en a besoin pour donner du brio et de la visibilité à sa région, à l’instance qu’il préside, à lui-même enfin. Cela n’a rien d’anodin quand on a un rêve présidentiel. Ce n’est pas le moment de se mettre à dos le monde culturel le plus visible.
Extrait du journal Le Monde du 25 juin 2021, article entier ici