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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

Le Monde : Territoire et paysage en creux aux Transphotographiques

Territoire et paysage en creux aux Transphotographiques

Intitulé « Hors circuits », le festival nordiste réunit treize artistes, dont plusieurs traitent leur sujet par l’absence ou l’espace mental.

Face à l’hôtel de ville de Lens, en plein air, sur de grands panneaux de PVC, s’alignent une dizaine de photos de vieilles voitures chargées à ras bord. Ce sont les »Voitures cathédrales » de Thomas Mailaender, présentées dans le cadre du festival Les Transphotographiques. Le terme, inventé par les dockers de Marseille, désigne les voitures qu’utilisent les immigrés, l’été, pour se rendre en Afrique du Nord. Sur le ferry, le prix est forfaitaire. Les propriétaires s’appliquent donc à construire, sur le toit de leur vieille R 20 ou Peugeot break 304, des empilements branlants qui montent haut vers le ciel, où on reconnaît des chaises en plastique, un évier, un frigo.

Le jeune photographe a tiré le portrait de ces voitures, de dos ou de profil, effaçant le fond pour les isoler dans le cadre. Evoquant la sculpture, ces autos en disent long sur le voyage à venir et surtout sur le décalage entre deux univers. Car ces vieux objets entassés, sans valeur pour un oeil européen, sont pour d’autres des trésors. Ainsi l’artiste dessine-t-il en creux, sans jamais les montrer, les contours de deux mondes qui s’ignorent, de part et d’autre de la Méditerranée.

C’est l’ensemble du festival les Transphotographiques qui s’inscrit, pour sa cinquième édition, sous le signe du territoire et du paysage : un choix de la commissaire invitée, Anne de Mondenard, historienne de la photographie. Le thème s’inscrit à merveille dans cette manifestation disséminée à Lille et dans le Nord-Pas-de-Calais, avec une échappée en Belgique (Hugues de Wurstemberger à Courtrai), dans une région où les frontières ne sont pas des barrières. Sous l’intitulé »Hors circuits » sont réunis treize artistes (cinquante-deux dans le « off »), dont plusieurs poids lourds : Raymond Depardon, qui mène un travail documentaire sur le territoire français ( Le Monde du 10 juin), Sophie Ristelhueber ou, de façon plus étonnante, Paolo Roversi, qui livre des vues fantomatiques prises dans son studio, en marge de ses photographies de mode.

CADRAGES INQUIÉTANTS

A l’image de Thomas Mailaender, plusieurs autres jeunes photographes ont choisi une approche en creux du territoire. Comme si les attributs classiques d’un lieu ­ – sol, ciel, habitations, végétation ­ – ne suffisaient pas à en dire la réalité. A l’ancien tri postal de Lille, la Franco-Marocaine Yto Barrada a mis des images sur les rêves d’Occident qui hantent les habitants de Tanger, face au détroit de Gibraltar. Ici, pas d’embarcadère, de valise ou de bateau ; le départ est dans les têtes. Avec ses photos colorées et carrées, soigneusement composées, Yto Barrada montre des hommes et des femmes lointains, souvent de dos, un enfant qui joue avec un modèle réduit de bateau, des terrains vagues ou des scènes d’usine. Un jeu subtil sur la présence et l’absence, par juxtapositions et indices, finit par construire un espace mental marqué par la perte.

C’est aussi par indices que procède Guillaume Herbaut, avec sa série « Oswiecim ». Oswiecim, du nom de la ville de Pologne où le régime nazi implanta le camp d’extermination d’Auschwitz. Dans la ville, plus un seul juif. Alors qu’« avant la guerre, 60 % de la population était juive », précise le photographe.

Mais les images sont-elles capables de montrer une disparition ? Oui, répond Guillaume Herbaut. Si plusieurs photos évoquent directement le camp, la plupart font juste référence à la vie quotidienne. Mais la charge émotionnelle du mot Auschwitz force le spectateur à trouver, même dans les scènes quotidiennes, les signes d’un passé terrifiant. Par ses cadrages inquiétants, ses personnages fermés, Guillaume Herbaut favorise cette contamination des images par d’autres images, présentes dans toutes les mémoires.

Enfin, on s’arrêtera sur le travail qu’a consacré Olivier Mirguet à la Corée du Nord en 2002. Les visiteurs de ce « paradis socialiste » n’ont le droit de photographier que certaines scènes, dûment contrôlées. Qu’importe. L’artiste a fait des contraintes un élément constitutif de son travail et a photographié ce qu’on lui demandait : des bâtiments staliniens vides, des soldats, des spectacles où l’individu se noie dans la masse. Le résultat est terrifiant. Ces images montrent plus que la vérité de la Corée du Nord : l’absolu du pouvoir, l’image que ce pouvoir a de lui-même.

Claire Guillot

Le Monde du  15 juin 2005

 


Les Transphotographiques, « Hors circuits ». A Arras, Calais, Courtrai, Lens, Lille et Valenciennes. Tél. : 03-20-05-29-29. Jusqu’au 25 juin.
Catalogue, édition Transphotographiques, 116 p., 15 €. Sur Internet : www.transphotographiques.com.