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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

5 ans de perdus pour la photographie en Hauts-de-France

5 ans de perdus pour la photographie en Hauts-de-France

Bilan du grand projet Photo de Xavier Bertrand et de son « laboratoire » dans les Hauts-de-France, un soi-disant modèle et un exemple à suivre dans son projet pour la France…

En novembre 2018, je publiais un article très critique sur la création de l’Institut pour la Photographie par Xavier Bertrand :
Pour une culture durable de la photographie

En démocratie, on peut normalement exprimer des divergences d’opinions, sans devoir en subir des conséquences allant jusqu’à la suppression des subventions par exemple. Malgré ces représailles, malgré toutes les pressions, je reste un citoyen libre, et je reviens ici sur ce que je considère comme critiquable pour la photographie dans notre Région.

Trois ans après, la situation de la photographie en région est encore, selon moi, plus alarmante. Je souhaite, par cette nouvelle tribune, interpeller les groupes politiques de la Région Hauts-de-France, et tous les citoyens qui s’intéressent aux politiques culturelles.

Alors que nous sommes à la veille de l’inauguration en grande pompe d’une exposition à l‘Institut Pour la Photographie à Lille, je veux en effet alerter le nouvel hémicycle régional sur les mauvais choix faits depuis 2018 par le Président Xavier Bertrand sur la photographie en Hauts-de-France, et sur le mépris qu’il réserve aux porteurs de projets historiques du territoire, comme aux artistes régionaux. Finalement, c’est un mépris de tous les habitants de notre Région qui est ici illustré.

Rappelons d’ailleurs qu’en aucun cas on ne puisse considérer que les dernières élections régionales aient validé une quelconque politique culturelle antérieure : partout en France, l’abstention a été record, et le contexte de crise sanitaire et économique a simplement profité au sortant.

Nous avons à de nombreuses reprises par le passé dénoncé les dérives du projet Institut pour la Photographie, porté personnellement par Xavier Bertrand. Nous devons nous souvenir que les premières délibérations de création de son Institut ont été réduites au strict minimum, n’ont pas respecté le règlement intérieur au regard des sommes engagées, et ont constitué un défaut manifeste d’information des conseillers régionaux avant le vote. Pour le dire plus directement, le Président de Région s’est affranchi de toutes les règles, en créant une structure que j’estime “transparente”, financée quasiment exclusivement par le contribuable régional.

Chaque élu qui a voté ou votera les budgets de l’Institut est de fait co-responsable de ce qui, un jour ou l’autre, donnera lieu à un rapport accablant de la Chambre Régionale des Comptes. Souvenez-vous de celui paru sur la gestion de Lille3000, financé par la Région. Et souvenez-vous aussi que malgré ce rapport accablant, le Président de Région a continué à faire voter un soutien régulier et conséquent à cette méga-structure lilloise.

Alors, dans nos alertes, quels sont les éléments marquants ?

La création d’un nouvel équipement photo dans le Vieux Lille ne sert pas l’accès à la culture pour tous dans la Région 

Depuis 30 ans, le nombre d’équipements culturels et d’artistes a augmenté de manière spectaculaire et malgré cela, les résultats d’enquêtes montrent que les pratiques culturelles des Français sont toujours fortement liées à leur niveau de vie ou de diplôme. Au regard de ces constats, les citoyens sont en droit de réinterroger l’opportunité de créer un nouvel équipement culturel à Lille, financé par des deniers publics, lieu dont la vocation est élitiste et réservée à des professionnels.

A contrario, il faut réaffirmer la nécessité de soutenir les petites structures qui maillent les quartiers et les territoires, qui peuvent accueillir les artistes, favoriser les rencontres dans la proximité avec les habitants, et les inclure dans les processus de création.

Il semble indispensable que tout nouveau projet serve ces objectifs, et que l’on priorise la circulation d’œuvres photographiques d’intérêt national dans les territoires ruraux, et quartiers prioritaires, et non pas en cœur de Ville, dans le quartier du Vieux-Lille très favorisé.

Les quartiers politique de la Ville sont en déclin, et leurs structures culturelles nécessitent le soutien fort des pouvoirs publics 

Nous écrivions dans notre tribune en 2018, que le soutien des structures culturelles situées en quartier prioritaire de la ville, était primordial. En décembre 2020, la Cour des comptes confortait largement ce point de vue dans un rapport qui dressait un tableau alarmant de la situation économique des quartiers prioritaires en France. Et notamment dans les Hauts de France.

Elle décrivait une «spirale négative» qui provoque des «phénomènes de repli», «voire de communautarisme». L’attractivité en matière d’activité économique a connu un recul réel au cours des dix dernières années.

Il est donc évident qu’au travers de ces recommandations, la Région, tout comme la Ville d’ailleurs, auraient dû soutenir l’activité économique et culturelle de structures comme la Maison de la Photographie dans le quartier de Fives, ou celles du CRP à Douchy-Les-Mines, ou Diaphane à Beauvais. Encore une fois, nos élus ont complètement fait fi des rapports et des recommandations de la Cour des Comptes et ont concentré leurs efforts sur un Institut sur-budgétisé, et situé dans les beaux quartiers lillois.

à Lire ici :

Le Parisien : Les commerces disparaissent des quartiers défavorisés alerte la cour des comptes

En tentant d’étouffer un acteur historique du territoire, la Maison de la Photographie, située en quartier prioritaire,  c’est finalement le non-sens de tenter de rayer de la carte cet outil précieux pour la photographie mais aussi son festival historique, qui diffuse sur l’ensemble du territoire Nord-Pas-de-Calais, “les Transphotographiques” dont nous fêtons aujourd’hui les 20 ans.

Il n’y a aucun sens tout au long des années, à financer ces deux outils à hauteur de 1,4 millions d’euros cumulés sur 20 ans, pour finalement le laisser tomber, au profit d’un projet censé servir le projet personnel d’un candidat à la présidentielle soucieux de briller au national.

Finalement, ce choix reflète le mépris de Xavier Bertrand pour les structures de son territoire, car au-delà même de la tentative d’étouffement de la Maison Photo, il n’a tenu aucune promesse d’augmentation significative du soutien aux autres structures que sont le CRP ou Diaphane, ou même au festival de Cinéma d’Arras ou Valenciennes. En tous cas, les faibles et occasionnelles variations de dotations budgétaires se situent bien loin des millions dédiés à SériesMania ou à l’Institut.

La part réservée aux frais de personnel de ce nouvel Institut est indécente

Nous estimons que les budgets culturels régionaux sont concentrés sur l’Institut de façon totalement anormale, alors même que la Région ne donne aucune suite aux demandes de subventions de la Maison Photo et du Festival Transphotographiques, pourtant destinées à rémunérer les droits d’auteurs des photographes exposés.

Ces budgets, de plus, sont principalement dédiés à financer les salaires d’une équipe, dont on ne sait si elle est trop nombreuse ou trop payée. On le sait, ce type de sujet est systématiquement pointé du doigt lors des contrôles de méga-structures culturelles par la Chambre Régionale des Comptes. Ici, depuis 4 ans sont votés chaque année près d’un million d’euros pour les salaires de l’Institut de la Photographie : 917 422€ pour être précis votés en 2021, alors même que depuis bientôt deux ans, le pays vit au rythme de la pandémie, prolongeant d’autant les périodes de fermetures des musées et donc aussi de l’Institut, n’ayant pas à servir de prestation pendant ces périodes, et avec l’aide exceptionnelle de l’Etat avec l’activité partielle pour prendre en charge ces salaires.

Xavier Bertrand s’est beaucoup vanté d’avoir maintenu les subventions pendant la crise sanitaire, mais quel aveu de mauvaise gestion de l’argent public ! En réalité, les mégastructures comme L’institut pour la Photographie et Sériesmania ont pu thésauriser sur cette période, alors que les petites structures et les artistes souffrent d’une précarisation aiguë.

L’analyse de ce million d’euros annuel réservé aux frais de personnel de l’Institut reviendrait-il à conclure qu’à l’Institut pour la Photographie, en 2021, avec une activité réduite, il y a 30 salariés ? ou bien 15 salariés payés deux fois plus que partout ailleurs?(*)

A titre de comparaison, le salaire moyen le plus élevé est pour de nombreuses structures culturelles en région, comme pour la Maison de la Photographie, d’environ 1500€ net, soit 2500 € brut.

Et ce, pour la mission que portait la Maison de la Photographie sur toute une année, mais aussi incluant la mission du festival Transphotographiques sur toute la région….

Tous ces questionnements sont en eux-mêmes une sorte d’insulte à la situation de précarité de nombre de photographes et artistes qui mériteraient le soutien de la Région.

La précarité des artistes en Région s’accroît

Nous avions dans notre tribune de novembre 2018 déjà alerté et montré la voie au chapitre 6 : “Pourquoi la Région, qui ambitionne de marquer le paysage photographique national,  ne répond-elle pas aux grandes problématiques de la Photographie en France,  au premier rang desquelles, le statut et la rémunération des photographes ?”

Cet appel faisait écho au cri d’alarme de la tribune publiée dans Libération, signée par des indépendants ou membres d’agences et de collectifs (Raymond Depardon, Bernard Plossu, Françoise Huguier, l’agence Myop, le collectif Tendance Floue).

« La photographie ne s’est jamais aussi bien portée en France, les photographes jamais aussi mal« , regrettaient les signataires de la tribune, demandant notamment des aides à la création et à la production pour les photographes.

Finalement, où en sommes-nous en 2021 ? La précarité des photographes s’est encore aggravée ! En mai, Erika Grenel, secrétaire générale du réseau Diagonal, dressait un tableau alarmant sur la situation des photographes et les enjeux posés par la reprise progressive des activités culturelles .La baisse constante du revenu des photographes et l’insuffisance des aides à la création sont devenues des enjeux sociétaux majeurs à traiter, pour préserver la créativité artistique des années futures.

Ces photographes, les premiers concernés ont été bien déçus de la différence entre les promesses de Xavier Bertrand pour la Photographie “Les Hauts-de-France seront un laboratoire qui servira de modèle au national”, et la réalité qui bien au contraire ne les a pas aidés. Cette belle idée, ce rêve pour la photographie régionale, s’est finalement transformée en mauvais exemple.

A lire, interview de Erika Grenel (Réseau Diagonal) :

Pourquoi le métier de photographe est-il aussi précaire face à la crise sanitaire ?

L’Institut se substitue au rôle patrimonial de l’Etat

A compter de ce 8 octobre 2021, l’Institut inaugure de nouvelles expositions : celle de Bettina Rheims qui a fait don de l’ensemble de son fonds à l’Institut pour la photographie (archives – négatifs, planches contacts, épreuves préparatoires, archives papier ; tirages d’exposition, tirages finaux, presse, publications, pochettes de disque, etc…). Celle de Agnès Varda qui a effectué un  dépôt de son fonds de planches et tirages contacts et négatifs.

Très belles expositions, mais….

J’ai énormément de respect pour ces artistes, que nous avons présentées aux Transphotographiques. En particulier, Agnès Varda accueillie pour 3 expositions en 2007, mais aussi Bettina Rheims, exposée en 2004, pour une formidable exposition à Courtrai.

Mais acquérir les oeuvres de Bettina Rheims, artiste parisienne qui n’a aucun lien avec les Hauts-de-France et qui valorise très bien elle-même la diffusion de son travail, pose question, alors même que nous savons déjà qu’une grande partie de ses images, par leur nature, ne pourront pas être diffusées dans les collèges et lycées régionaux.

De plus, la Région n’a pas démontré auparavant sa capacité à valoriser et rendre accessible des oeuvres acquises les années précédentes : je pense ici aux 10 photographies commandées à Magnum et Raymond Depardon en 2005 par la Région, que j’ai souhaité ré-exposer à plusieurs reprises, sans jamais obtenir de réponse, ni connaitre le lieu de leur conservation.

Pour mémoire, il s’agissait quand même à l’époque d’un budget de 250 000 euros pour une seule exposition…

De plus, comme nous l’expliquions en 2018 dans notre tribune, nous estimons que ce n’est pas au contribuable des Hauts-de-France, de financer les missions dont l’Etat à la charge.

En effet, lors des Rencontres d’Arles 2018, la Ministre de la Culture a annoncé la création du Comité national du patrimoine photographique, composé des différentes institutions référencées pour accueillir des fonds, telle la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine ou la Bibliothèque Nationale de France.

Étant donné que l’accueil de fonds photo suppose du personnel et des moyens financiers dont le ministère ne dispose pas et qui font toujours aussi défaut aux structures nationales réceptrices de fonds, l’Institut des Hauts-de-France vient totalement se substituer aux missions de ce Comité, en y consacrant ses propres moyens régionaux.

Pourquoi donc cet Institut mobiliserait-il des fonds régionaux, se substituant ainsi aux missions et responsabilités de l’Etat  dans un contexte financier si contraint ? S’agissant d’un Institut créé par une collectivité publique, pour un montant de 22 millions d’euros, il est légitime de remettre en cause ce financement régional et la réelle intention qui prévaut à sa création.

La vigilance s’impose sur l’analyse des retombées de ce projet

L’Institut, à grand renfort de voyages de presse, de publicités, allant jusqu’à des publi-reportages 4 pages dans toutes éditions des journaux locaux, dira qu’il bénéficie d’une forte fréquentation…

Se gargariser, comme le fait Lille3000, d’un énorme succès, d’une fréquentation importante, d’un rayonnement presse international, sans ramener ces impacts au budget dépensé en communication, n’a rien d’exceptionnel en réalité. Les articles de fond permettant de réellement apprécier les chiffres de fréquentation donnés par les politiques sont rares.

Souvenons-nous de la démystification des chiffres réels de Lille3000 :

Voix du Nord du 11/12/2019 : Eldorado et les chiffres, la saison Lille3000 de toutes les exagérations ?

Il en est de même pour le festival SeriesMania : indécent de se gargariser de 50 000 visiteurs, alors qu’en fait il s’agit de  50 000 entrées gratuites distribuées pour visionner les séries populaires. Où est la performance ?

Ce qui est important, c’est d’évaluer les retombées culturelles et économiques sur la base des dépenses engagées, de mesurer strictement le rapport coût-efficacité des événements culturels, de connaître et d’apprécier la sociologie des visiteurs, pour s’assurer que les objectifs de démocratisation culturelle sont bien atteints.

En cela, il est bien plus efficace pour la dépense publique, de voir le Festival Transphotographiques si fréquenté, alors qu’il ne dispose qu’exclusivement d’une communication digitale sur les réseaux sociaux.

CONCLUSION

Pourtant, il y a  tant de choses à faire, tant de choses faciles à faire et que nous avons proposées depuis 5 ans !

Les politiques sont là pour accompagner et soutenir la création, les acteurs qui soutiennent et promeuvent cette création.

Il est bien regrettable de constater que le Président de Région twitte sur les expos d’Arles ou de Perpignan, et en parallèle, méprise l’exposition “En Hauts” que nous organisons à Lille ! Alors même que le lauréats des Transphotographiques 2021 a obtenu un Visa d’Or à Perpignan, qu’il est originaire de Vermelles dans le Pas de Calais, qu’il a formidablement photographié un sujet beau et difficile dans l’Hôpital de Calais, et obtenu grâce à ces prix une reconnaissance dans la presse nationale et internationale. Quel mépris pour ce talent régional !

Une telle valorisation conforte pourtant comme une évidence le propos et la qualité de la sélection des Transphotographiques.

Si la Région regardait avec neutralité et attention ce que proposent les Transphotographiques, elle devrait accompagner sa circulation sur l’ensemble du territoire régional, en donnant des moyens pour la production, la logistique, mais aussi la rémunération des artistes.

Si la Région regardait avec neutralité et attention ce que proposent les Transphotographiques, elle devrait emmener chaque année une sélection de ces artistes aux Rencontres d’Arles, comme elle le fait pour le Théâtre à Avignon.

Quel est le sens de ce pseudo-partenariat avec Arles, s’il ne permet même pas depuis 5 ans d’aider les artistes de notre territoire à se faire connaître dans l’un des plus beaux festivals internationaux. Ce partenariat n’aura servi finalement qu’à exprimer un peu plus le mépris du Président de Région envers les acteurs de son territoire.

Peut-être un témoignage de la préoccupation de ce Président de Région, qui regarde déjà plus grand et plus loin depuis son élection, et ne se préoccupe déjà plus des habitants de son territoire.

Il me semblait essentiel de porter ces éléments d’analyse à votre connaissance, d’alerter sur les risques, et de susciter votre vigilance à chaque vote qui concerne l’Institut pour la Photographie, comme pour ceux qui concernent les grands projets comme Lille3000 ou Séries Mania.

Olivier Spillebout

Directeur des Transphotographiques

(*)

Sur les salaires, nous avons pris la peine, en tant que contribuables concernés, d’interroger la collectivité, sans obtenir bien sûr de réponse. Pourtant, la loi oblige à cette transparence : L’article 20 de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif précise que « les associations dont le budget annuel est supérieur à 150 000 euros et recevant une ou plusieurs subventions de l’État ou d’une collectivité territoriale dont le montant est supérieur à 50 000 euros doivent publier chaque année dans le compte financier les rémunérations des trois plus hauts cadres dirigeants bénévoles et salariés ainsi que leurs avantages en nature ». Une disposition analogue oblige, d’ores et déjà, les associations qui décident de verser une rémunération à leurs dirigeants, dans les conditions prévues au d du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts, d’inscrire le montant des rémunérations versées à chacun des dirigeants concernés « dans une annexe aux comptes de l’organisme ».

Références : 

https://blogs.mediapart.fr/olivierspillebout/blog/070219/pour-une-culture-durable-de-la-photographie

https://www.leparisien.fr/economie/les-commerces-disparaissent-des-quartiers-defavorises-alerte-la-cour-des-comptes-02-12-2020-8411750.php

https://www.lavoixdunord.fr/678903/article/2019-12-11/eldorado-et-les-chiffres-la-saison-lille3000-de-toutes-les-exagerations?

https://www.franceculture.fr/emissions/affaire-en-cours/affaires-en-cours-du-mercredi-12-mai-2021

https://www.liberation.fr/debats/2018/07/01/la-photographie-ne-s-est-jamais-si-bien-portee-les-photographes-jamais-si-mal_1663272/

Written by

Olivier Spillebout est le fondateur de la Maison de la Photographie qu'il à créé en 1997, et du festival international Transphotographiques, créé en 2001.