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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

DailyNord : Culture : Martine Aubry et Xavier Bertrand, une si étrange alliance

Culture : Martine Aubry et Xavier Bertrand, une si étrange alliance

On sait que l’institut européen de la photographie ouvrira ses portes l’année prochaine. A Lille. Un projet “personnel” du président des Hauts-de-France qui poursuit son grand dessein d’une culture vivante pour contrer les extrémismes qui agitent l’opinion et nourrir sa machine électorale. La culture, c’est le truc de Martine Aubry, la maire de Lille, qui fourbit ses armes pour les municipales. Ce qui est bon pour l’un l’est tout autant pour l’autre. Décryptage d’une étrange alliance à haut rendement politique.

En situant le futur établissement dans le Vieux-Lille sur le site d’une ancienne école (Edouard Lalo, une surface de 3600 mètres carrés appartenant à la métropole européenne de Lille) on imprime un symbole fort. De l’école émancipatrice version Jules Ferry à l’institut de la photo, lien entre les passionnés d’image et vecteur de choix pour une région en pointe dans les domaines de l’image et des arts cinématographiques, l’itinéraire est presque évident. Vidéo, image, internet, cinéma,… Il manquait une pièce du puzzle pour faire des Hauts-de-France un territoire dédié de référence.

Sur un tel sujet, il y a beaucoup de points communs entre Xavier Bertrand et Martine Aubry.

On sait l’ancienne ministre de l’après-dissolution de 1997 férue d’art contemporain – la légende prête à Lionel Jospin le souhait d’une Martine Aubry titulaire du portefeuille de la rue de Valois, le ministère de la culture – et ses actions à la tête de la ville signifient un engagement sans équivoque – non exempt de critiques. Lille capitale européenne de la culture, en 2004, a joué un rôle de détonateur autant que d’aboutissement. Pierre Mauroy avait Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de Lille en étendard d’une culture pour tous. Lille 2004 sera un apogée de la culture populaire avec ses dix millions de visiteurs et fera des petits. L’offre muséale régionale s’étoffe à chaque mandat ou peu s’en faut.

Depuis son arrivée à la tête des Hauts-de-France, Xavier Bertrand arpente les tréteaux de la planète culture. Il l’a dotée d’une généreuse enveloppe appelée à prospérer. Une posture rare pour un homme de droite qui se réclame d’un séguinisme revisité, persuadé de l’importance d’une culture pour tous, rempart contre le délitement du lien social et les sirènes du populisme protestataire. A sa demande, le producteur Marin Karmitz, ami personnel de Martine Aubry qui lui avait demandé de réfléchir à l’installation d’un cinéma d’art et d’essai dans les Halles de Wazemmes, préside le futur institut européen de la photo (voir Le PetitThéâtre).

La Maison de la photo : une belle épine retirée du pied de Martine Aubry

Ce faisant, Xavier Bertrand retire une épine du pied de la maire de Lille. Un violent conflit s’était déclaré entre la Maison de la Photographie, installée à Fives, et l’Hôtel de Ville sur fond de bisbilles psycho-politiques. Ulcéré, l’édile lillois avait coupé les vivres de l’association, ensuite menacée de disparition. Le dossier avait ému le landerneau culturel et au-delà. Localiser l’institut européen de la photographie en plein coeur de Lille enterre le problème et élude la fronde qui grondait. Les deux idées se sont donc rencontrées. Voilà pourquoi Xavier Bertrand n’a pas donne suite pour “récupérer” la Maison de la Photo en tant que telle et préféré accoucher un projet plus ambitieux. D’ailleurs, les – nombreuses – structures qui s’occupent des arts photographiques un peu partout dans la région ou qui avaient posé leur candidature seront associées au projet (Soissons, Denain – dirigée par une proche de Martine Aubry -, Loos-lez-Lille, Roubaix).

Tout pour Lille ?

Le reproche est patent et couve toujours sur la terre des beffrois. Le lillocentrisme est le piège à éviter pour nos deux édiles dans une région agrandie par le fait d’un Premier ministre (Manuel Valls). ” Martine Aubry a un avantage sur Xavier Bertrand qui ne pourra pas éviter le reproche de favoriser Lille car il est président de région et doit gérer les susceptibilités picardes et les jalousies de territoires “, analyse cet élu régional. On ajoutera que Xavier Bertrand est lui-même picard. Peu visible hors la métropole lilloise, Martine Aubry échappe plus facilement à ce tropisme de clocher. Sur la culture, présumé antidote aux extrémismes, les deux personnalités font cause commune . Même si “Xavier Bertrand joue les pompiers pour Martine Aubry” De quoi se donner le beau rôle pour celui qui aspire à une grande destinée. Les grands fauves ont appris à marquer leur territoire et à se partager les butins.

Un but : contrer les extrémismes

Voilà une des raisons du tandem de circonstance. Martine Aubry et l’équipe sortante ont besoin d’une parade anti-populisme. Hier c’était contre l’extrême-droite et le Front national. Aujourd’hui, la montée de la France Insoumise et la vigilance du Rassemblement national piquent au vif l’exécutif municipal à la recherche de la formule gagnante pour les élections de 2020 afin d’élargir leur offre en vue d’alliances, sésame indispensable pour espérer conserver le pouvoir. Martine Aubry est dans les starting-blocks, pressée par l’activisme d’un Adrien Quatennens (FI), agacée par les allers et retours d’un Christophe Itier le Haut-Commissaire en Marche, soucieuse de profiter d’une bonne conjonction des astres. Au printemps dernier, le succès du festival Série Mania, tenu à Lille, consacre le rôle assumé sur la scène du septième art. Le message est clair et les grands festivals et autres grosses machineries du cinéma et du show-biz n’ont qu’à bien se tenir. Et Ciné Comédies en septembre comme un enchaînement vertueux. Un calendrier fructueux en dividendes touristiques et en retombées économiques. Et dont le rendement électoral est patent.

Etonnante ruse de la politique qui fait se rejoindre dans une complicité objective un Xavier Bertrand, ancien sarkozyste numéro un de l’UMP et ministre de droite et Martine Aubry, ex-patronne du PS qui sortait les bazookas contre la dérive anti-sociale d’un socialisme de gouvernement. Le pragmatisme électoral calme les esprits les plus retors. Et facilite les deals les plus improbables. Xavier Bertrand, libéré du carcan partisan, a besoin des réseaux Aubry dans le monde de la culture si difficile à apprivoiser (le collectif régional des arts et de la culture, 200 structures, est déjà monté sur les tréteaux de la critique et de l’impatience). La maire de Lille compte sur l’équation d’un président de grande région, acquis à l’importance de la culture qu’il a sanctuarisée dans son budget, élu avec les voix de la gauche après le forfait de l’entre deux tours (arrivé troisième, Pierre de Saintignon, tête de liste et proche de Martine Aubry s’est retiré en faveur de Xavier Bertrand). ” Simple retour d’ascenseur entre gens de bonne compagnie…”, persifle ce conseiller régional. Et chacun poursuit son objectif politique en se partageant les bénéfices de l’opération.

La semaine dernière, aux Rencontres photographiques d’Arles, référence qui a inspiré le projet du Nord, Martine Aubry et Xavier Bertrand – coude à coude – ont porté leur rejeton sur les fonts baptismaux. Fruit d’une étrange alliance nouée à l’écart des vieux systèmes partisans et des préventions politiciennes. Il faut cultiver son jardin.

Marc Prévost, DailyNord 12 juillet 2018