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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

Guillaume Rivière : Détroit

Exposition du 24 septembre au 25 octobre 2015
Vernissage le jeudi 24 septembre à 18h30

 

Détroit : Décomposition-recomposition

La devise de l’ex capitale américaine de l’automobile (« Nous espérons de meilleures choses; il résultera des cendres ») résonne intensément dans ce paysage ravagé, aussi fascinant qu’effrayant, même si quelques poches créatives incarnent l’espérance. Pour certains, la déglingue de « Motown » incarne l’aube d’une renaissance attendue.

Detroit ? Une singularité américaine. L’anormalité rôde en effet dès downtown, où le fleuve délimite la frontière avec le Canada : peu de voitures, de piétons et de sirènes. Rares boutiques et gratteciel vides achèvent de créer ici une ambiance irréelle. Fauchée, la ville n’attire pas non plus les publicités XXL. La nuit y est dangereuse, serinent ceux que vous croisez alors que vous cherchez (en vain…) un restaurant. Antoine de LamotheCadillac, ce Français qui a fondé en 1701 la principale ville de l’état du Michigan, se retournerait dans sa tombe devant ce mikado en vrac éparpillé sur 340 km2. En cinquante ans, Detroit a perdu les trois quarts de ses habitants et en affiche moins de 700 000 aujourd’hui. De 2000 à 2008, 400 000 emplois ont disparu. Sans recettes fiscales, asphyxiée, la ville s’est déclarée en faillite en 2013, ne pouvant rembourser ses quelque 18,5 milliards de dollars de dettes. L’humiliation est complète lorsque Kwame Kilpatrick, le maire afroaméricain de 2002 à 2008, est condamné à vingt huit ans de prison pour le dé tournement de millions de dollars… L’état du Michigan impose ensuite un directeur de crise. Ce dernier redresse les comptes à la cravache, coupe les subventions aux théâtres et à la police. La municipalité tente désormais de ramener les gens vers le centre, voire de les repousser vers les banlieues, afin de réduire les coûts de gestion d’un territoire où nul taxi ne se risque.

Le centre n’est pas folichon mais que dire de Midtown East, à 5 minutes, où le sentiment de désolation s’installe encore un peu plus ? Des pâtés de maisons entiers sont à l’agonie. L’eau et l’électricité ? Un lointain souvenir. La carte des friches – un tiers de la ville – pointe environ 80 000 lieux branlants à détruire ! Postes de police, hôpitaux, casernes de pompiers, bibliothèques, écoles, églises ont fermé dans la plupart des quartiers et sont à vendre ou à démolir. Les voitures cahotent entre les nids de poule et les trottoirs explosés.

La ville de tous les maux

Chacun semble avoir fui en laissant ses affaires derrière lui. À l’intérieur d’écoles désaffectées sans fenêtres, on marche sur des livres encore emballés. Et les théâtres fendus pendent sur l’abîme. En quelques mois, les toits se replient, laissant entrer pluie et neige. Ces cavités sombres abritent marginaux, dealers et prostituées. Puis un feu réduit les carcasses, figées dans leur noirceur pour un temps indéfini… On longe des kilomètres d’usines désaffectées aux cuves rouillées emplies des poubelles qui ne sont plus ramassées. Rottweilers surexcités et gardiens armés patrouillent près des barbelés. Néanmoins, deux dollars glissés en douce offrent une entrée clandestine dans ce tiers-monde occidental inédit sur notre planète et qui fascine tant les amateurs de ruins porn (ou ruins photography). On a parfois du mal à saisir pourquoi Detroit est devenue l’effigie de la décadence. La faute à une accumulation de crises : économique (chômage), financière (dette), politique (municipalité affaiblie) et immobilière. Celle des subprimes de 2008 a vidé 67 000 propriétés en trois ans, toutes saisies par des banques. Conséquence : les quartiers ne peuvent plus financer les infrastructures qui pourrissent. Mais le déclin a réellement débuté dès 1950 avec le s hrinking city (rétrécissement urbain) : la population blanche rallie les banlieues riantes et fermées comme Grosse Pointe, abandonnant ainsi le centre aux AfroAméricains (75 % de la population dont 33 % plus que pauvres). Packard ferme en 1956. Restent les Big Three : Ford, Chrysler et General Motors. En 1967, des émeutes raciales très dures font fuir les derniers Blancs tandis que la ville élit le premier maire noir du pays. Assommée par la concurrence japonaise, GM déclare faillite en 2008 et ferme ses sites un à un avant d’être repêchée par Obama qui la nationalise. En 2009, à son tour, Chrysler choisit la faillite, le temps de restructurer son activité. Cette avalanche de plaies se répercute jusqu’aux plus pauvres : sans emploi, sans voiture ni bus, sans loi ni hôpital, sans la moindre épicerie à des kilomètres…

Initiatives citoyennes et spéculateurs

Un frémissement parcourt-il Detroit ? « Proud to be here », « Nothing stops Detroit » : les mantras hyperpositifs fleurissent, contrastant avec les affiches des organismes caritatifs qui alertent sur les graves problèmes sociaux. Detroit est aussi sans doute la première ville américaine où le « do it ourselves » a remplacé le « do it yourself ». Les communautés citoyennes pratiquent l’échange, le recyclage des maisons délabrées, les fablabs où réparer des bicyclettes, la colocation entre entreprises. Des entrepreneurs (blancs, la trentaine) lancent leurs projets 100% online dans une atmosphère fiévreuse de fraternité universitaire. Le Madison Building dessiné par Howard Crane en 1920 est ainsi devenu une pépinière numérique de premier plan.

Avantageusement comparé au Bronx des années 70, le paysage parfois digne d’un film d’horreur inspire ! Naïveté ou optimisme de crise, certains voient en Detroit un incubateur artistique en cours de gentrification. Apportant de l’eau à leur moulin, Robert Elmes, le fondateur du Galapagos Art Center à New York, a acheté le Highland
Park College pour établir sa nouvelle galerie cernée d’une friche inquiétante.
La population blanche aisée, arty aussi, fait un timide retour et s’arrache pour 130 000 € des maisons cabossées mais allurées. Les spéculateurs, eux, profitent des prix bradés pour rafler les principaux bâtiments, à la suite de Dan Gilbert, 126e fortune américaine selon F orbes. Anticipant une reprise économique, ce dernier s’est approprié un quart du centreville qu’il va bientôt équiper de vigiles, caméras… et boutiques !

D’autres font de l’argent sans travaux. Ainsi, les 200 000 m2 du Russell Industrial érigé par l’architecte Albert Khan ont échappé à la destruction lorsque le milliardaire Dennis Kefallinos s’est avisé de le louer en l’état à 300 artistes et 100 jeunes sociétés. Venus de Minneapolis ou New York, ces locataires profitent d’espaces immenses à 3,50 € le mètre carré.

Le mythique passé industriel devient maintenant un label, comme l’a compris l’entreprise Shinola dont les montres et bicyclettes arborent fièrement leur « made in Detroit ». Cette effervescence est de fait tempérée par le peu de créations d’emplois, l’étrange chassé-croisé entre Blancs et Noirs, qui semblent ne pas pouvoir partager la même ville, et ces ruines figées tant que le marché immobilier restera atone. Le renouveau économique de Motown demeure bel et bien prisonnier de sa boule de cristal dans laquelle chacun tente de lire des temps meilleurs.

Elisa Morère

En savoir plus

 

Exposition réalisée en partenariat avec RENAISSANCE Lille3000, IDEAT magasine et France 3 NpdC

              

 

Ouvert jeudi et vendredi de 10h à 18h, samedi et dimanche de 14h à 18h.
Attention : en raison d’événements privés, il est possible que la Maison de la Photographie soit fermée au public certains jours.
Merci de consulter notre site internet avant votre visite.

Tarifs :
Normal 5€
Réduit 3€ ( Carte étudiant, seniors + 65ans , demandeurs d’emplois, détenteurs de carte famille nombreuse )
Gratuit ( Enfants de – 8 ans, bénéficiaires du RSA, personnes à mobilité réduite + 1 accompagnant et lors du vernissage de l’exposition).