Transphotographiques de Lille
Nord[s], Bienvenue chez eux!
La dixième édition de Transphotographiques revendique à Lille ses ancrages au Nord, au pluriel des époques, des regards et des styles. Une correspondance entre le courant humaniste et les recherches contemporaines qui se partagent leur public comme elles le font de leurs territoires.
Il en est des festivals comme de la carte médicale en France : le midi concentre les préférences. Face à Arles, Perpignan, Sète et maintenant Sanary, Transphotographiques apporte à Lille un contrepoids septentrional en rehaussant son dixième anniversaire d’une célébration de la région du Nord. Largement ouvert à la photographie contemporaine, ce portrait s’appuie comme il convient sur le fonds patrimonial de la photographie ancienne conservée à la bibliothèque municipale de Lille et aux Archives de l’Hospice Comtesse avec l’extraordinaire collection Pasquero, mémoire de Lille de la première moitié du 20e siècle.On se régalera tout autant du retour aux photographies que Jean-Philippe Charbonnier avait prises dans le Nord de la France et jusqu’en Belgique, en ces années 1950 où les bassins miniers qui avaient fait naître la Communauté européenne du charbon et de l’acier occupaient du monde et remplissaient les Corons. L’exposition nous replonge avec tendresse dans ce travail qui devait transmettre sa nostalgie dans un beau livre « Les Enfants de Germinal » paru en 1993 aux éditions Hoébeke. le même Hospice Comtesse rend hommage à un autre représentant éminent de la photographie humaniste en la personne de Jean Marquis. Formé au laboratoire par Pierre Gassmann aux premières années de Pictorial Service, ce natif d’Armentières devait bientôt suivre les traces des clients illustres dont il exécutait les tirages. Amoureux de la composition et des demi-teintes, Jean Marquis consacrera la plus grande part de son travail au monde ouvrier, aux gens du spectacle et de la politique. Les Transphotographiques présentent la série du « Voyage sur la Deûle: travail d’un jeune amateur qui deviendra un auteur si indépendant qu’il ne fera chez Magnum qu’un passage de quelques mois. Récemment présenté à Paris par la galerie David Guiraud, le travail sensible du Britannique John Bulmer trouve dans la couleur un registre singulier pour restituer dans le même cadre l’atmosphère de grisaille et la chaleur des Ch’tis. Sur un registre différent mais avec la même intensité, le travail en moyen format noir et blanc de Bogdan Konopka, né en Pologne et devenu Français, surfe sur les deux vagues d’immigration de mineurs aux premier et troisième quarts du vingtième siècle. Exposées dans la salle du Conclave du Palais Rihour, les images de Konopka retrouvent les traces fragiles d’un univers de travail peu à peu réhabilité, reconverti, à l’image des générations qui changent quand disparaît la mémoire elle-même.On ne manquera pas, pour achever ce portrait collectif d’une région de visiter « Nord(s), Regards croisés; l’installation d’Ericka Weidmann du fruit de l’appel à projet relevé par plus de quatre-vingts photographes.
Gabriele Basilico magistral
Pièce maîtresse de ces Transphotographiques 2011, le travail réalisé en 1984 et 1985 par Gabriele Basilico dans le cadre d’un projet imaginé par Bernard Latarjet et François Hers et mis en place par la Délégation à l’aménagement du territoire: demander à quinze photographes de nationalités différentes de faire l’état des lieux d’une région de l’hexagone. Version moderne de la Mission héliographique de 1851 qui confiait à cinq photographes réunis autour d’Édouard Baldus d’établir en images l’inventaire des Monuments de France, la mission de la Datar marque son époque en même temps qu’elle laisse émerger le portrait d’un pays et l’aspect d’une création photographique sans frontières. En accueillant Gabriele Basilico, les rivages qui courent de la frontière belge au mont Saint-Michel n’avaient pas tiré la plus mauvaise carte.Venu à la photographie à travers une formation d’architecte, Basilico commence à photographier les villes et les ports au début des années 1970, avec une rigueur qu’il maintient toujours, recourant à la chambre grand format, à bonnes focale et distance, sans présence humaine.Ainsi vidé, l’espace est livré dans sa précision au spectateur qui se l’approprie à son tour, s’y promène et s’y perd. L’exposition présente 27 de ces tirages 65 x 78 cm provenant des collections de l’artiste et du Frac Haute-Normandie.
Le concert des contemporains
L’importante installation au Tri-postal regroupe plusieurs signatures confirmées de la photographie contemporaine, avec l’ouverture d’un passé revisité en 1990 par JS Cartier sur les ruines et les champs de bataille de la guerre de 1914-1918, paysages impressionnants transformés dans le même siècle par le ravage des obus et offrant le patrimoine sinistre de leurs cicatrices. Travail documentaire et plasticien, « Sur les traces de la grande guerre » est rejoint à un siècle d’écart par la commande passée par l’Historial de la Grande Guerre de Péronne à Patrick Tourneboeuf sur les monuments aux morts sculptés en leur temps par d’autres artistes assujettis à la commande. Devenu maître dans la vision frontale du construit institutionnel, Tourneboeuf atteint à son tour l’émotion des litanies du 11 novembre longtemps répétées par les enfants des écoles. Émotion différente pour le travail réalisé en 2001 par Jacqueline Salmon sur le hangar de Sangatte prévu pour accueillir – ou contenir – les candidats à l’immigration vers l’Angleterre. Revu dans son états neuf, avant les années qui devaient occuper l’actualité et jusqu’à sa fermeture définitive en 2002, l’espace prend la dimension historique que Paul Virilio attribuait au 21ème siècle naissant, promis aux vastes mouvements migratoires du Sud au Nord. Sangatte vu par Salmon contraste avec la démarche de Florence Chevallier qui tente et parvient à retrouver la fraîcheur du premier regard sur les choses et les lieux et à travers eux les gens qui y vivent. Dans les couleurs qu’affectionnent l’auteur, « Toucher Terre » conceptualise une simplicité qui se transmet avec bonheur en divers degré de lecture, comme ces souvenirs qu’évoquent un mot, un détail ou un parfum. Jürgen Nefzger installe une série récente de quinze photographies de jouets sauvés des intempéries et des décharges pour poser sous l’éclairage du studio. Abîmés, décolorés et salis ces objets réhabilités en archéologie plasticienne partagent leur élégante nostalgie avec les reliefs des saisons estivales que photographie Valérie Broquisse dans sa série « Après », plages de galets abandonnées à la grisaille hivernale. Signalons enfin les recherches de formes et de couleurs inscrites dans la démarche esthétique que Jean-Christophe Béchet, né à Marseille et passionné par le Japon, illustre dans perspective d’une réflexion subtile qui lui fait retrouver le Nord. Le repérage des lieux n’est pas la préoccupation d’Anne Marie Filaire dont le sujet « Transfrontalières » exposé dans le même Tripostal sonde l’espace indéfini dont on se demande s’il est de France ou de Belgique depuis qu’en Europe les frontières ne sont plus des barrières.
Hervé Le Goff
Chasseurs d’Images de juin 2011