Le grand paysage du monde
Les Transphotographiques de Lille sont devenues incontournables
Cinquième édition de la manifestation, sur le thème « Hors Circuits », Anne de Mondenard y livre un passionnant tour d’horizon du paysage.
Avec treize expositions officielles et une kyrielle d’événements « Off », les cinquièmes Transphotographiques frappent un grand coup. Mais plus que la quantité, c’est la qualité des expositions et de leur présentation qui fait la différence. Après Jean Luc Monterosso en 2004, c’est Anne de Mondenard qui assure le commissariat des expos officielles en 2005. Elle présente une série de treize expos d’une étonnante cohérence, remarquablement mises en espace dans les lieux les plus divers. Le tout sur le thème « Hors Circuits », mettant en évidence le travail singulier réalisé ces dernières années sur le paysage. Depuis la mission de la DATAR (Délégation à l’aménagement du Territoire et à l’Action régionale) qui en 1985, avait invité une trentaine de photographes à dresser un portrait de la France hors des sentiers battus. « J’ai beaucoup réfléchis à cette photographie qui n’est ni plasticienne, ni de reportage » explique Anne de Mondenard. Résultat, on retrouve très logiquement Raymond Depardon et Sophie Ristelhueber, deux des piliers de la mission DATAR, parmi les artistes invités à Lille. Si la seconde propose, à Valenciennes, une sélection de grands paysages vides réalisés dans les années 80 et 90, le premier livre en primeur un large aperçu de son travail réalisé sur le Nord Pas de Calais en mars et avril 2005. Grands formats, long temps de pause, chacune de ses images est d’une précision incroyable. A l’Hospice Comtesse, au coeur du Vieux Lille, la foule se presse pour découvrir ces lieux photographiés de diverses manières : en noir et blanc, pour prendre une certaine distance, puis en couleurs, sous un autre angle, avec parfois une présence humaine, pour les rendre plus présents. Dunkerque, Berck sur Mer, Saint Omer, Maubeuge… On voyage avec lui dans ce Nord mal connu et souvent mal aimé. Depardon ne cherche pas à jeter de la poudre aux yeux. Il photographie le Nord dans sa réalité crue, avec ses bons et mauvais cotés étroitement entremêlés.
Au Palais des Beaux Arts, outre le magnifique travail de Thibaut Cuisset, on découvre le « Studio » de Paolo Roversi. Célèbre pour ses portraits et photos de mode, Roversi nous invite ici à pénétrer dans le sanctuaire de son studio. Images en noir et blanc, personnages, nature morte, c’est un paysage intime et émouvant, rappelant la photographie du XIX siècle, que le photographe nous révèle. L’accrochage en enfilade sur un mur unique dans une salle plongée dans l’obscurité où l’on pénètre par une sorte d’objectif géant, ajoute au mystère et à la pertinence de cette sélection de polaroïds originaux.
À l’église Saint Maurice, on découvre le très beaux travail de Manuel Litran sur Verdun, et à la salle du Conclave du Palais Rihour, le Paris des années 70 de Jean Philippe Charbonnier qui non sans ironie, se détache de tous les clichés habituels.
Au Tri postal, près de la gare Lille-Flandres, on ne sait où donner de la tête. On est tout de suite captivé par les zones portuaires du Nord saisies Philippe Dapvril et imprimées sur toile. On découvre ensuite la Corée du Nord vue par Olivier Mirguet : remarquable travail sous haute surveillance où le photographe détourne la propagande pour livrer un portrait sans concession d’un pays où l’humain est écrasé par l’architecture du pouvoir. Outre le remarquable « Oswiecim » de Guillaume Herbaut, on découvre encore le travail d’Yto Barrada sur le détroit de Gibraltar, cette zone devenue pour beaucoup la porte d’entrée pour l’Europe. Lieu de fuite, de passage, d’attente qu’elle observe sous toutes les coutures, rendant compte des sentiments mélés qui viennent s’y confronter.
Jean Marie Wynants
Le Soir du 7 juin 2005