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Maison de la Photographie / Lille / Hauts-de-France
 

L’Humanité : Un peu trop de rouge à lèvres

L’Humanité : Un peu trop de rouge à lèvres

Les diptyques mères-filles de Marion Gronier présentés a la Maison de la photographie de Lille sont troublants et dressent une critique de l’idéal proposé, via les concours de mini-miss, aux petites filles.

Lorsqu’elle voit ses premières mini-miss chaperonnées par leur mères, en 2009, lors de concours amateurs organisés dans la région de Douai, Marion Gronier sait qu’elle tient un sujet. Ses studios de prise de vue, elle est habituée à les improviser dans les coulisses de petits théâtres chinois (2005), Indiens (2007) ou Japonais (2008). Elle s’apprête à dresser le portrait d’artistes de cirques itinérants. Alors dans les vestiaires de ces podiums du Nord-Pas de Calais, elle ne se sent dépaysée. Elle tient un sujet parce qu’elle sait que ces compétitions sont révélatrices des enjeux importants qui se jouent dans les relations mère-fille. Se glissant dans la peau d’une fillette traqueuse, elle écrit : « La bouche en cul-de-poule pour le rose à lèvres et les paupières closes pour le fard nacré, je suis jolie comme un coeur. Maman jauge le résultat d’un oeil froid. Tout à l’heure, elle sera tellement fière de moi qu’elle pleurera. Je monte les marches. Attention à ne pas déchirer l’ourlet. Se tenir droite, marcher lentement et gracieusement, tortiller un peu les fesses, faire les yeux de biches et sourire sans grimacer. » La photographe sait qu’elle s’engage dans un marathon. Ses séries, elle les construit dans le long terme. Cette plongée dans la durée fera de ce projet un travail documentaire.

Sur les cimaises de la Maison de la photographie de Lille, on le vérifie. À gauche, la mère. À droite, la fille. Et toujours le même fond neutre qui gomme le contexte, le même regard frontal. « Soyez naturelles, ne souriez pas, ne posez pas pour moi! » a exigé Marion Gronier. Le format carré vient renforcer cette recherche de neutralité, annuler les effets de composition et nous laisse dans un face à face sans échappatoire. Et là, on voit. On voit que ces fillettes de trois, quatre, cinq ans, déguisées en princesses, en poupées Barbie, en Lolitas, sont transformées en objets que leurs mères ont surinvestis. On comprend le titre de la série : 3Je suis votre fantasme ». Que le mimétisme soit frappant ou pas, on est troublé, dérangé, par l’inversion de rôle entre la femme adulte, dépouillée, fragile, et la femme-enfant dont l’innocence ploie sous les attributs outranciers de la séduction et du rouge à lèvres qui bave. Sans juger les mères, on pense pêle-mêle, aux majorettes de Charles Fréger, qui évoluaient dans le même contexte social, aux mises en scène de la photographe Irina Ionesco avec sa fille Eva, avant d’en revenir à l’intention de Marion Gronier qui est de critiquer l’idéal que la société propose aux filles.

Magali Jauffret

L’Humanité du 28 février 2012

 

 

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Depuis 1997, l'Atelier de la Photo, devenu en 2003 la Maison de la Photographie, présente à Lille le meilleur de la Photographie internationale, tout en soutenant la création régionale et la pratique amateur.